• Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, 7 décembre 2000.
  • Principes de Yogyakarta, novembre 2006.
  • Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2011 relative aux conditions de protection internationale.
  • Résolution 2048 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les discriminations envers les personnes transgenres.
  • Principes de Yogyakarta +10, 2017 (actualisation).
  • Résolution du Parlement européen du 14 février 2019 sur les droits des personnes intersexuées (2018/2878(RSP)).
  • Résolution du Parlement européen du 11 mars 2021 proclamant l’Union européenne « zone de liberté LGBTIQ » (2021/2557(RSP)).
  • Stratégie de la Commission européenne « Union de l’égalité », 2025.
  • Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, Rapport Droit et inclusion, 2017.
  • Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), Enquête sur les discriminations LGBTIQ, 2020.
  • Commission européenne, Rapport Legal Gender Recognition in the EU : The Journeys of Trans People Towards Full Equality, 2020.
  • Conseil des droits de l’homme, Droit et inclusion – Rapport de l’Expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, Victor Madrigal-Borloz, 3 juin 2021.
  • CEDH, 17 octobre 1986, Rees c. Royaume-Uni, n° 9532/81.
  • CEDH, 27 septembre 1990, Cossey c. Royaume-Uni, n° 10843/84.
  • CEDH, 11 juillet 2002, Goodwin c. Royaume-Uni, n° 28957/95.
  • CEDH, 6 avril 2017, A.P., Garçon et Nicot c. France, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13.
  • CEDH, 17 janvier 2019, X. c. Ex-République yougoslave de Macédoine, n° 29683/16.
  • CEDH, 16 juillet 2020, Rana c. Hongrie, n° 40888.
  • CEDH, 17 février 2022, Y. c. Pologne, n° 74131/14.
  • CEDH, 31 janvier 2023, Y. c. France, n° 76888/17.
  • CEDH, 4 avril 2023, O.H. et G.H. c. Allemagne, n° 53568/18 et 54741/18.
  • CEDH, 4 avril 2023, A.H. et autres c. Allemagne, n° 7246/20.
  • CJUE, 30 avril 1996, P c. S. et Cornwall County Council, C-13/94.
  • CJUE, 29 octobre 2003, Garcia Avello, C-148/02.
  • CJUE, 7 janvier 2004, K.B., C-117/01.
  • CJUE, 27 avril 2006, Richards, C-423/04.
  • CJUE, 3 septembre 2008, Kadi, C-402/05 P et C-415/05 P.
  • CJUE, 11 juillet 2013, Ziegler c. Commission, C-439/11 P.
  • CJUE, 11 juillet 2013, Team Relocations, C-444/11 P.
  • CJUE, 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group, C-156/15.
  • CJUE, 8 juin 2017, Freitag, C-541/15.
  • CJUE, 5 juin 2018, Coman, C-673/16.
  • CJUE, 26 juin 2018, MB, C-451/16.
  • CJUE, 14 décembre 2021, Pancharevo, C-490/20.
  • CJUE, 4 octobre 2024, Mirin, C-4/23.
  • CJUE, 9 janvier 2025, Mousse, C-394/23.
  • CJUE, 13 mars 2025, Deldits, C-247/23.
  • CJUE, 29 avril 2025, Commission c. Malte, C‑181/23.
  • CJUE, Shipov, C-43/24 (pendante).
  • CIADH, Atala Riffo et enfants c. Chili du 24 février 2012.
  • CIADH, Avis consultatif OC-24/17 du 24 novembre 2017 (identité de genre, égalité et non-discrimination).
  • CIADH, Communiqué de presse du 25 novembre 2024, n° 291/24.
  • UK Supreme Court, 16 avril 2025, For Women Scotland Ltd v The Scottish Ministers, UKSC 16.
  • CAA Versailles, 24 juin 2025, n° 24VE02253.
  • US Supreme Court, 27 juin 2025, Mahmoud et al. v. Taylor et al., n°24-297.
  • TA Paris, 11 juillet 2025, n° 2317381/6-1.
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La question de la protection juridique des personnes transgenres occupe aujourd’hui une place grandissante dans les débats juridico-politiques contemporains. Cette dynamique, alimentée aussi bien par les mobilisations sociales que par les travaux académiques – en particulier ceux de Stefano Osella : S. Osella & R. Rubio-Marin, « The Right to Gender Recognition Before the Colombian Constitutional Court: A Queer and Travesti Theory Analysis », Bulletin of Latin American Research [En ligne], n° 40, 2021, pp. 650-664 ; S. Osella & R. Rubio-Marin, « Gender Recognition at the Crossroads: Four Models and the Compass of Comparative Law », International Journal of Constitutional Law [En ligne], n° 21, 2023, pp. 574-602 ; S. Osella, « Reinforcing the Binary and Disciplining the Subject: The Constitutional Right to Gender Recognition in the Italian Case Law », International Journal of Constitutional Law [En ligne], n° 20, 2022, pp. 454-475 – s’inscrit dans une tendance plus générale d’affirmation des droits des minorités sexuelles et genrées, notamment en matière de reconnaissance juridique de l’identité de genre. En ce sens, les Principes de Yogyakarta (2006) et leur actualisation en 2017 (Principes +10), bien qu’ayant une valeur non contraignante, ont contribué à définir, à titre d’exemple, les standards internationaux de protection. Ils proclament, entre autres choses, le droit à l’autodétermination de genre et sollicitent des divers États le développement de politiques inclusives. Cette tendance est corroborée par des initiatives onusiennes comme le rapport « Droit et inclusion », du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies. Ce rapport développe toute une série de recommandations à l’adresse des États du monde pour garantir une meilleure – et, peut-être davantage encore, plus effective – protection aux personnes transgenres.

1°) Le droit de déterminer juridiquement son propre genre fait, à présent, l’objet d’une protection effective devant des juridictions – que celles-ci soient nationales et supranationales – sous des formes et par des procédures diverses. Des contentieux se développent dans plusieurs États relatifs au genre et à l’identité de genre, à l’exemple de l’arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni For Women Scotland Ltd v The Scottish Ministers (UKSC 16 [2025]). En parallèle, de nombreuses institutions internationales appellent à renforcer la protection des droits des personnes transgenre. Elles enjoignent les États à garantir la protection de leur intimité, ainsi que leur identité. C’est le cas du Parlement européen par sa résolution en date du 14 février 2019 relative aux droits des personnes intersexuées (2018/2878(RSP)), ainsi que sa résolution en date du 11 mars 2021 sur la déclaration de l’Union européenne en tant que « zone de liberté pour les personnes LGBTIQ » (2021/2557(RSP)). C’est le cas aussi de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme qui, en fin d’année 2017, dans un avis consultatif, a déclaré que l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression du genre sont des catégories protégées par les garanties d’égalité et de non-discrimination prévues dans la Convention (CIADH, 24 novembre 2017, Avis consultatif sur l’identité de genre, l’égalité et la non-discrimination des couples de même sexe, OC-24 /17). Elle réaffirme au passage ce qu’elle avait déjà consacré dans l’affaire Atala Riffo et enfants contre Chili en date du 24 février 2012. Plus récemment encore, à l’occasion de la Journée internationale de visibilité du genre, la Commission interaméricaine des droits de l’Homme a invité les États à adopter des mesures à la fois urgentes et concrètes pour protéger la vie et l’intégrité physique des personnes trans et de genre divers (Communiqué de presse du 25 novembre 2024, n° 291/24). On peut enfin mentionner, pour terminer ce tour d’horizon, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui, dans la résolution 2048 de 2015, a pointé du doigt les discriminations dont font l’objet les personnes transgenres sur le territoire européen. Ces différentes prises de position institutionnelles répondent à des situations de marginalisation et de violences documentées, surtout par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union dans une enquête rendue en 2020, et tranchent avec les régressions juridiques – et constitutionnelles – observées en avril dernier en Hongrie ou bien les tensions qui traversent en ce moment même les États-Unis et dont atteste l’affaire Mahmoud v. Taylor (n° 24-297) de la Cour suprême, arrêt dans lequel elle reconnaît le droit aux parents d’élèves dans des écoles publiques de soustraire leurs enfants des cours heurtant leurs intimes convictions en abordant des thèmes LGBTQ+. En France, l’arrêt de la Cour administrative d’appel Versailles du 24 juin 2025 (n° 24VE02253), refusant d’attribuer à un enfant, alors en colonie  de vacances, un dortoir qui correspondrait, non pas à son sexe, mais à son genre ou  l’annulation du tribunal administratif de Paris, prononcée le 11 juillet dernier (n° 2317381/6-1), d’une décision de la FFA d’interdire à une athlète trans de participer aux compétitions féminines d’athlétisme – puisqu’il n’existe aucune disposition qui confère cette  compétence au président de ladite Fédération (n° 2317381/6-1) – illustrent sans ambages les dissensions qui travaillent la société actuelle quant à la question du genre. Quoi qu’il en soit, et ainsi que le soulignait Peter Drenth, rapporteur permanent adjoint sur les droits humains du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, la situation actuelle des personnes trans est plus que préoccupante et devient une affaire d’importance capitale.

2°) En matière de protection des personnes transgenres, le droit de l’Union européenne a progressivement – et durablement – manifesté une volonté claire de lutter contre les discriminations fondées sur l’identité de genre, sur la réassignation de genre. Un jalon important de cette protection est la directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil, relative aux normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale. Ce texte constitue, en effet, le premier instrument de droit de l’Union européenne à reconnaître explicitement la notion d’« identité de genre » – et donc à lui reconnaître une force contraignante. Puisque, jusqu’alors, cette notion ne figurait que dans des instruments internationaux dépourvus, on a pu le voir, de force juridique obligatoire. Dans ce même esprit, la Commission européenne a adopté une stratégie intitulée « Union de l’égalité », visant à garantir, à terme, un traitement (plus) équitable et (plus) inclusif des personnes LGBTIQ dans l’ensemble des domaines relevant du champ d’action de l’Union. Une telle volonté a été, par ailleurs, portée par la jurisprudence de la CJUE relative au principe fondamental d’égalité de traitement. Ce principe, fondamental dans l’ordre juridique de l’Union (CJUE, 11 juillet 2013, Ziegler c. Commission, aff. C-439/11 P ; CJUE, 10 novembre 2016, Private Equity Insurance Group, aff. C-156/15, pour certaines limites : CJUE, 11 juillet 2013, Team Relocations e.a. c. Commission, aff. C-444/11 P), a été convoqué à de multiples reprises pour offrir une protection aux personnes trans contre quelques discriminations fondées sur l’identité de genre. En outre, cette logique de non-discrimination a permis l’émergence, apparaît-il, de quelques formes de reconnaissance identitaire, bien que strictement limitées au champ d’application du droit de l’Union. En fin de compte, la jurisprudence de la CJUE a joué un rôle décisif dans l’intégration progressive des droits des  personnes transgenres dans le droit de l’Union. Dès l’arrêt P c. S. et Cornwall County Council du 30 avril 1996 (aff. C-13/94), la Cour était transparente sur ses intentions : en avouant que le licenciement d’une personne qui a engagé une transition de genre constituait une discrimination fondée sur le sexe, elle ouvrait déjà la voie à une prise en compte de la transidentité, mais aussi à une lecture inclusive du principe d’égalité. Cette position a été confirmée et prolongée dans les arrêts K.B. du 7 janvier 2004 (aff. C-117/01) et Richards du  27 avril 2006 (aff. C-423/04), avant d’être reprise plus récemment dans l’arrêt MB du 26  juin 2018 (aff. C-451/16), rendu par la grande chambre. Lequel réaffirme la nécessité d’intégrer et de protéger les transitions de genre dans l’appréhension du droit à pension de  retraite.

Parallèlement, la CJUE a aussi contribué à la reconnaissance des droits des minorités sexuelles et genrées par le biais du droit à la libre circulation. Deux arrêts en particulier illustrent cette orientation : d’abord, l’affaire Coman (CJUE, 5 juin 2018, aff. C-673/16), relative à la reconnaissance d’un mariage homosexuel contracté à l’étranger, et, ensuite, l’affaire Pancharevo (CJUE, 14 décembre 2021, aff. C-490/20), relative à la reconnaissance juridique de la filiation homoparentale. Dans ces deux affaires, la CJUE s’est, en partie, détachée de sa jurisprudence relative à la citoyenneté de l’Union et la reconnaissance des noms de famille, qui conditionnait la protection des droits à l’existence d’un élément transfrontalier concret, à l’image d’un déplacement effectif ou d’une double nationalité. Effectivement, dans les arrêts Konstantinidis de 1993 et Garcia Avello de 2003, la Cour avait fondé sa solution sur la nécessité de protéger les droits des citoyens de l’Union contre les atteintes à leur vie privée et vie familiale ou à leur identité découlant d’un contexte transfrontalier. Ce schéma fondé sur une approche strictement fonctionnelle de la libre circulation est en particulier remis en cause dans l’arrêt Coman, dans lequel la CJUE a embrassé une lecture plus « sévère » – pour les États – du droit à la libre circulation, en exigeant que le mariage homosexuel contracté à l’étranger produise des effets dans l’État membre de destination, même dès lors que le requérant n’a pas une double nationalité européenne. Par contraste avec des affaires antérieures, telles que l’affaire Freitag (CJUE, 8 juin 2017, aff. C-541/15), où la CJUE avait accepté qu’un exercice, pour ainsi dire, « hypothétique » du droit à la libre circulation suffise, la Cour choisit dans l’arrêt Coman plutôt une approche territoriale de la circulation en termes de mobilité effective. Cette inflexion souligne que le citoyen de l’Union, même sans double nationalité, doit pouvoir profiter d’une protection contre toutes les discriminations fondées sur son statut conjugal et,  plus largement, sur son orientation sexuelle et/ou son identité de genre.

3°) Néanmoins, cette jurisprudence de la CJUE, aussi fondatrice et significative soit-elle, n’est pas exempte de reproches. Elle demeure lacunaire sur plusieurs points et même parfois marquée par une logique, pour ainsi dire, peu inclusive. Certains arrêts continuent, assurément, de réserver la pleine reconnaissance juridique du genre aux seules personnes ayant opéré une chirurgie de réassignation, reconduisant ainsi une conception binaire et stéréotypée de l’identité qui tend à exclure les personnes non-binaires ou celles refusant une  approche médicalisée de leur trajectoire. Cette réserve témoigne des limites d’une compréhension encore largement ancrée dans une définition biomédicale, voire encore pathologique, de la transidentité. Ce n’est que de façon relativement récente que la Cour a  commencé à infléchir une telle conception, en amorçant un glissement vers une compréhension plus généreuse et inclusive de la protection des personnes transgenres, détachée de l’exigence d’une transition chirurgicale. Trois arrêts récents sont particulièrement révélateurs de cette évolution. Et chacun a déjà donné lieu à une analyse approfondie dans les colonnes de ce blog.

Le premier est l’affaire Mirin (CJUE, 4 octobre 2024, aff. C-4/23), dans laquelle la Cour consacre l’obligation pour les États de reconnaître mutuellement le changement de genre effectué dans un autre État membre, notamment aux fins de libre circulation et de la citoyenneté de l’Union. Somme toute, cet arrêt affirme une exigence de reconnaissance réciproque en matière de statut personnel, basé sur le principe de continuité de l’identité juridique dans l’espace de l’Union. Le second arrêt, Mousse (CJUE, 9 janvier 2025, aff. C-394/23), s’inscrit, quant à lui, dans le champ de la protection des données à caractère personnel. La CJUE y invalide l’obligation faite aux utilisateurs de certaines plateformes commerciales de choisir entre les civilités « Madame » ou « Monsieur », considérant qu’une telle binarité imposée méconnaît, au premier titre, le principe de minimisation des données garanti à l’article 5, paragraphe 1, point c) du RGPD. Cette solution, bien qu’issue d’un contexte en apparence assez étranger aux problématiques de statut personnel, étend toutefois la reconnaissance des identités de genre à la sphère numérique et met au jour la portée transversale de la protection des personnes transgenres dans l’ordre juridique de l’Union européenne. Enfin, dans l’arrêt Deldits (CJUE, 13 mars 2025, aff. C-247/23), la CJUE affirme d’une façon plus manifeste qu’aucune condition chirurgicale ne peut être imposée à une personne trans pour accéder aux droits consacrés et protégés par le droit de  l’Union. Partant, la CJUE rompt symboliquement avec l’ancien paradigme biomédical de  la reconnaissance de genre et consacre une approche fondée sur l’identité vécue, mais surtout plus respectueuse de l’autodétermination – en somme, du principe de l’autonomie personnelle.

Ce qui peut être considéré comme une trilogie marque une inflexion profonde dans la jurisprudence et la politique jurisprudentielle de la CJUE. Chacun des trois arrêts approfondit quelques avancées déjà entrevues dans les arrêts Garcia Avello, Coman ou Pancharevo, tout en opérant une rupture franche avec la logique antérieure (con)centrée sur la  fonction et/ou la mobilité. C’est une lecture plus fondamentalement inclusive et anti-stéréotypique de la citoyenneté de l’Union qui est ici développée – et dont on peine à mesurer toutes les incidences, même si divers passages de l’arrêt Commission c. Malte du 29 avril 2025 en donnent un échantillon. Somme toute, l’arrêt Mirin redéfinit la citoyenneté européenne comme un levier d’émancipation ; l’arrêt Mousse, lui, étend la protection aux pratiques commerciales et à la gestion des données personnelles ; l’arrêt Deldits, enfin, reconnaît la primauté de l’identité déclarée sur l’identité médicale. Ensemble, ces arrêts apparaissent inaugurer une dynamique de dépathologisation, de désessentialisation et de reconfiguration du droit de l’Union autour des principes de dignité, d’autonomie et de solidarité. Une dynamique qui inscrit (plus) résolument la logique de la fondamentalité au cœur du projet européen d’intégration – c’est-à-dire de sa signification et aussi de sa direction.

Un tel tournant se manifeste, tout spécialement, par l’invocation plus systématique des instruments garants des droits et libertés fondamentaux. Alors que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la CESDH n’étaient mobilisées que de manière accessoire dans les affaires Coman et Pancharevo (à peine deux références explicites), elles sont  utilisées à divers endroits dans les arrêts les plus récents – par exemple, dans cinq paragraphes distincts de l’arrêt Mirin. Ce recours accru aux textes protecteurs des droits fondamentaux atteste, sans doute, d’un souhait de la Cour de réinscrire la question de la reconnaissance de genre dans un cadre plus large que celui uniquement de la liberté de circulation : le cadre de la fondamentalité susceptible d’irriguer tout le droit de l’Union européenne. En même temps, depuis l’arrêt Kadi de 2008 – et, mieux encore, les arrêts Schrems ou Wightman –, on est conscient que l’ordre juridique de l’Union doit être relu à la lumière des droits fondamentaux, qui font désormais partie intégrante de l’« essence » de l’Union.

4°) Cependant, on ne saurait apprécier l’importance de cette inflexion jurisprudentielle sans l’inscrire dans le contexte plus large de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, dont l’apport en matière de reconnaissance des droits des personnes transgenres s’est révélé décisif, bien que souvent traversé par des tensions internes. Cette jurisprudence, certes évolutive et riche, n’est pas aujourd’hui exempte de critiques : certains y voient même une forme de repli, une tendance régressive, perceptible dans les derniers arrêts. Par exemple, dans l’affaire Y. c. France (CEDH, 31 janvier 2023, n° 76888/17), la CEDH a refusé de consacrer un droit à l’enregistrement d’un « sexe neutre » à l’état civil français, confirmant ainsi une approche binaire de l’état civil dont la rigidité a été plusieurs fois dénoncée par le  monde associatif et la doctrine. De même, dans les affaires O.H. et G.H. c. Allemagne (CEDH, 4 avril 2023, n° 53568/18 et 54741/18) et A.H. et autres c. Allemagne (CEDH, 4 avril 2023, n° 7246/20), la CEDH a avoué que le refus d’indiquer le genre actuel du parent transgenre, sans lien avec la fonction procréatrice, dans l’acte de naissance de l’enfant ne constituait pas une violation de la Convention. Tous ces arrêts traduisent une forme de réticence, d’après certains, à intégrer pleinement l’identité de genre dans la structure symbolique de la filiation. D’ailleurs, l’affaire Y. c. Pologne (CEDH, 17 février 2022), dans laquelle la CEDH a admis que les États disposent d’une large marge d’appréciation pour déterminer s’ils autorisent ou non la modification du sexe dans les actes de naissance, corrobore cette impression de prud’homie – voire, et d’aucuns pourraient dire encore, de pusillanimité.

D’autant que ce positionnement tranche avec la ligne de conduite qui a émergé dans les années 1990/2000. Jusque-là, la juridiction avait assidûment, continuellement, refusé de consacrer un droit à la reconnaissance de la transition sexuelle, donc de la transidentité (CEDH, 17 octobre 1986, Rees c. Royaume-Uni, n° 9532/81  et CEDH, 27 septembre 1990, Cossey c. Royaume-Uni, n° 10843/84). Mais un revirement décisif s’est réalisé avec l’affaire Goodwin c. Royaume-Uni (CEDH, 11 juillet 2002, n° 28957/95), dans laquelle la CEDH a reconnu que le défaut de reconnaissance légale d’une transition de genre constitue une violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 12 (droit au mariage) de la Convention. Cet arrêt a marqué une avancée déterminante en érigeant l’identité de genre comme un élément essentiel de l’identité personnelle, méritant une protection autonome. Depuis cet épisode fondateur, la juridiction de Strasbourg a progressivement consolidé l’obligation, pour les Hautes Parties contractantes, de mettre en place des procédures accessibles, rapides et transparentes permettant la reconnaissance du genre. L’arrêt A.P., Garçon et Nicot c. France (CEDH, 6 avril 2017, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13) constitue, en un certain sens, une étape cruciale : la CEDH y a reconnu que subordonner cette reconnaissance à une opération préalable de stérilisation et/ou à un traitement médical irréversible constitue une violation de l’article 8 de la CESDH. Ce principe a été depuis confirmé dans l’arrêt X. c. « Ex-République yougoslave de Macédoine » (CEDH, 17 janvier 2019, n° 29683/16), où la CEDH a étendu cette protection à des questions plus pratiques, telles que la mention du genre sur les documents d’identité, l’accès aux soins et la prévention des traitements discriminatoires. On peut aussi mentionner, pour continuer de souligner la perplexité, la condamnation symbolique de la Hongrie (CEDH, 16 juillet 2020, Rana c. Hongrie, n° 40888). Dans celle-ci, la CEDH condamnait clairement le fait qu’un homme transsexuel n’ait pas accéder une procédure de reconnaissance de changement de sexe en Hongrie.

Toutefois, à bien y regarder, la méthodologie de la CEDH repose principalement sur la technique des obligations positives conventionnelles, et elle s’appuie sur une évaluation contextuelle des situations nationales, ce qui l’amène parfois à concéder aux États une latitude généreuse dans l’aménagement des droits. Alors que la thématique est loin d’être décomplexée au niveau national. Notamment avec la montée de partis politiques plus extrémistes. À rebours, la CJUE a décidé d’articuler sa jurisprudence autour de concepts fondamentaux propres et caractéristiques de son ordre juridique : la citoyenneté, la libre circulation des personnes et la protection des données personnelles. Cette différence de point d’ancrage normatif permet à la juridiction luxembourgeoise de forger une protection plus stable et plus originale en ce qu’elle contraint davantage la réglementation des États membres.

5°) Tout ceci participe à faire voir que les affaires Mirin, Mousse et Deldits ne se contentent nullement d’aligner le droit de l’Union sur les standards du voisin strasbourgeois. Ils les réinterprètent au regard des objectifs et des principes inhérents au droit de l’Union, en réorientant la problématique vers des notions qui lui sont propres et dont la Cour a la maîtrise. Autrement dit, la CJUE ne reproduit pas, au-delà de l’affichage, simplement la logique de la CEDH, mais plutôt permet l’émergence d’un droit européen de l’identité de genre plus inclusif, mais également et surtout qui lui est spécifique – pour ne pas dire caractéristique. Au total, elle semble s’inscrire dans le sillage de la CEDH, tout en reconfigurant son acquis dans un langage proprement communautaire. D’ailleurs, l’affaire Shipov (aff. C-43/24), toujours pendante devant elle – à l’heure de l’écriture de ces lignes –, pourrait permettre à la Cour de clarifier sa position quant à la portée de la reconnaissance des statuts personnels au-delà du cadre de la seule libre circulation. Il reste à espérer que la CJUE saura affirmer, de manière moins équivoque qu’auparavant, que la reconnaissance juridique de l’état civil d’une personne transgenre ne saurait se limiter, pour les États, aux hypothèses de mobilité intraeuropéenne, mais qu’elle engage, plus généralement, le respect inconditionnel des droits fondamentaux dans l’ordre juridique de l’Union. Sera-t-elle l’instant d’une consécration d’un droit – au sens fort du terme – à « la reconnaissance du changement » de statut personnel qui n’était qu’ébauché dans Mirin ? Il y a fort à parier que la CJUE ne fera pas preuve de moins d’audace. Car, une conviction forte a été dévoilée par la Commission : même si « le droit de l’Union ne peut réglementer les reconnaissances juridiques du genre, les États membres sont, néanmoins, tenus de veiller à ce que les exigences en matière de reconnaissance juridique du genre n’entraînent pas, directement ou indirectement, un traitement moins favorable des personnes transgenres, notamment en ce qui concerne les conditions d’état civil pour accéder à certaines prestations ou services » (Rapport Legal Gender Recognition in the EU : The Journeys of Trans People Towards Full Equality).