À propos du rapport fait au nom de la commission d’enquête du Sénat n° 757, enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025.

Le droit est fait de nuances, tout juriste étant confronté à la mise en œuvre de principes divers et variés assortis d’inévitables restrictions ou exceptions. Un récent rapport sénatorial1Cf. Rapport fait au nom de la commission d’enquête aux fins d’évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, à la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis : Sénat, n° 757, enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025 [En ligne], prenant acte de l’hybridation de la délinquance financière et de la criminalité organisée, préconise nombre de recommandations aux fins de mieux prévenir et réprimer un tel phénomène.

Consciente de la nécessité de se garder d’une approche « frontale » du phénomène, la représentation nationale semble acquise à la nécessité de privilégier à l’avenir une approche par les risques, d’inspiration internationale et européenne indéniable (), seule approche à même de parvenir à la construction d’un corpus juridique pérenne afin de mieux lutter contre la délinquance financière et la criminalité organisée ().


1°) D’inspiration internationale et européenne, l’approche par les risques l’est indéniablement puisqu’elle constitue la recommandation première du GAFI2https://www.fatf-gafi.org/content/dam/fatf-gafi/recommendations/Recommandations%20du%20GAFI%202012.pdf.coredownload.pdf et qu’elle est désormais commandée par nombre de directives consacrées à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, dites « LCB-FT », et par une proposition de directive relative à la lutte contre la corruption à laquelle le rapport d’information du Sénat vient d’apporter son soutien.

Ainsi que le souligne l’Autorité des marchés financiers, l’approche par le risque se situe désormais « au centre de toute la réglementation relative à la LCB-FT depuis la troisième directive antiblanchiment 2005/60/CE du 26 octobre 2005 »3Cf. AMF Lignes directrices sur l’approche par les risques en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme [En ligne], en rappelant que les obligations imposées aux entités assujettis à l’égard de la clientèle se répartissent en obligations dites « simplifiées » ou « renforcés » selon le risque de blanchiment préalablement identifié, analysé, et hiérarchisé, preuve s’il en est que l’efficacité d’un dispositif juridique dépend de sa capacité à intégrer les inévitables nuances et facettes de toute réalité criminelle.

De la sorte, l’« effort de prévention » fondé sur l’approche par les risques a été pensé « en complément de l’approche fondée sur le droit pénal »4Cf. Considérant n° 1 Directive 2005/60/CE [En ligne], étant encore observé que l’approche par les risques, après avoir été imposée aux entités assujetties, s’est également imposée tant aux autorités européennes que nationales5Conformément à la quatrième directive dont il faut rappeler que le considérant n° 1 disposait nettement qu’ « en plus de continuer à développer l’approche pénale au niveau de l’Union, il est indispensable de s’attacher à la prévention ciblée et proportionnée de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme, qui peut produire des résultats complémentaires ». Cf. Directive (UE) 2015/849.

S’agissant de la France, un rapport a été établi sous l’autorité du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (COLB). Véritable cartographie à dimension macro-économique, l’« Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme »6Cf. Rapport 2023 permet ainsi aux assujettis de mieux appréhender les risques auxquels ils sont concrètement exposés et de satisfaire à leurs propres obligations cartographiques inscrites notamment aux articles L. 561-4-1 et L. 561-32 du Code monétaire et financier.

Le rapport sénatorial précité s’est appliqué à rappeler les intérêts liés à l’approche par les risques. Il a mis en exergue qu’elle répond à une logique d’efficience en ce qu’« elle permet aux autorités engagées dans la lutte contre le blanchiment de cibler leurs contrôles afin d’user efficacement de leurs ressources »7Cf. Rapport préc., p. 162. Ce faisant, la représentation nationale n’a fait que rendre hommage à la doctrine du GAFI, lequel a toujours fait valoir que « cette approche devrait constituer le fondement essentiel d’une allocation efficiente des ressources au sein du régime de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme »8Cf. Recommandations GAFI, p. 10. Également, le rapport sénatorial a insisté sur le fait que l’approche par les risques permet « d’adopter une approche proportionnée entre d’une part, la nécessité pour les services de renseignement et contrôle d’intercepter des flux frauduleux le plus précocement possible pour faire échec à des schémas de fraudes souvent fugaces, et d’autre part, la volonté légitime de ne pas entraver la liberté d’entreprendre, en évitant d’imposer des contraintes trop lourdes pour les professionnels assujettis aux obligations LCB-FT »9Cf. Rapport préc., ibidem. Ce dernier avantage attaché à l’approche par les risques invite à préciser, à la suite du considérant n° 22 de la quatrième Directive, que « l’approche fondée sur les risques ne constitue pas une option indûment permissive pour les États membres et les entités assujetties. Elle suppose le recours à la prise de décisions fondées sur des preuves, de façon à cibler de façon plus effective les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme menaçant l’Union et les acteurs qui opèrent en son sein ». Enfin, le rapport sénatorial souligne que l’approche par les risques répond « à un enjeu d’acceptabilité de la réglementation LCB/FT par les professionnels assujettis, mais aussi par leurs clients, qui sont particulièrement sollicités du fait des obligations de vigilance imposées à ces professionnels »10Cf. Rapport précité, ibidem.

Si l’approche par les risques en lien avec la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme bénéficie d’une reconnaissance juridique effective, elle se révèle particulièrement perfectible à l’égard de la lutte anticorruption.

2°) Tout comme l’antiblanchiment à son origine, l’anticorruption se limite à imposer une approche par les risques aux seules entités assujetties, négligeant encore les autorités européennes et nationales. La loi Sapin II est, à cet égard, doublement lacunaire.
Elle est lacunaire, d’une part, à raison du caractère arbitraire des critères retenus – au moins 500 salariés et un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros… – afin de déterminer le champ d’application de l’obligation de conformité anticorruption. Mais, si la critique d’origine doctrinale semble avoir été entendue par la représentation nationale11Cf. M. Segonds, « Les excentricités de la lutte anticorruption », in Les excentricités du droit pénal, Mare & Martin, Paris, 2024, p. 93, sp. p. 94, elle ne l’a été qu’à moitié. En effet, plutôt que de s’engager sur la voie de l’élargissement des critères12Cf. Rapport précité, recommandation n° 12, p. 22, il faut regretter que le rapport sénatorial ne se soit pas véritablement engagé dans la promotion d’une véritable approche par les risques, notamment par la recommandation d’une identification légale et réglementaire des professionnels et des secteurs d’activités à risque corruptif tout en faisant alors peser sur ces derniers une véritable obligation cartographique13Véritable parce que l’obligation cartographique présentement inscrite à l’article 17 de la loi du 9 décembre 2016 possède le grave inconvénient de se limiter à l’identification, à l’analyse et à la hiérarchisation du risque corruptif… sans aucun égard pour les remédiations… et ce, quand bien même, l’Agence française anticorruption s’est appliquée par ses recommandations à corriger cette lacune difficilement compréhensible. Cf. P. Labic, Anticipation et prévention de la corruption : Entre philosophie morale et modèles économiques, Thèse, Strasbourg, 2023, p. 235.

Elle est lacunaire, d’autre part, parce que l’approche par les risques dont elle porteuse se limite à une approche micro-économique limitée aux seules entités assujetties. Une approche macro-économique est tout à la fois possible et nécessaire, ainsi que l’a déjà démontré la lutte antiblanchiment. Une fois encore, l’espoir d’une évolution normative est européen. Il réside dans l’adoption de la proposition de directive en date du 3 mai 2023 relative à la lutte contre la corruption14https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52023PC0234 dont l’article 3§5 dispose que « les États membres procèdent à une évaluation régulière afin de recenser les secteurs les plus exposés au risque de corruption ».

À cet égard, il faut souligner que la commission d’enquête sénatoriale a entendu saluer cette proposition de directive et tout particulièrement son article 3 en ce qu’il promeut une approche préventive de la corruption et la rédaction d’une évaluation nationale des risques par les États membres15Cf. Rapport précité, p. 158. Une telle approche des risques corruptif aura pour mérite d’être similaire à l’approche des risques de blanchiment, sans oublier la nécessité, au-delà d’une approche nationale, d’une approche supranationale des risques de corruption… qui pourrait parfaitement être similaire à celle qui a déjà été consacrée à propos de la lutte antiblanchiment16Cf. Directive (UE) 2015/849, considérant n° 23. L’approche par les risques sera micro-économique, nationale ou supra-nationale… ou ne sera pas… nuancée.