Auteur/autrice : Nuances du Droit

La soumission des sentences arbitrales sportives à un contrôle juridictionnel effectif

Commentaire comparé des arrêts CrEDH, 10 juillet 2025, Semenya c. Suisse, req. n°10934/21 (GC) et CJUE, 1er août 2025, Royal Football Club Seraing, affaire C-600/23 (GC).

Par deux arrêts[1], l’un du 10 juillet 2025 de la Cour européenne des droits de l’Homme – la CEDH –, Semenya c. Suisse, et l’autre du 1er août 2025 de la Cour de Justice de l’Union européenne – ci-après la CJUE –, Royal Football Club Seraing, les deux Cours se sont prononcées sur la portée et l’efficacité des sanctions du Tribunal arbitral du Sport – TAS – et le contrôle juridictionnel effectif de ces sanctions.

L’affaire Semenya concernait la violation du droit à un procès équitable de l’article 6§1 de la Convention après le rejet du recours en contestation d’une sentence arbitrale du Tribunal Arbitral du Sport – ci-après TAS – par le Tribunal fédéral suisse. La CEDH a indiqué que le Tribunal fédéral n’a pas fait preuve d’un examen circonstancié et rigoureux de la situation pour fonder sa décision, ce qui contrevient à l’article 6§1 de la Convention.

Dans l’affaire RFC Seraing, qui concernait la contestation de sanctions de la FIFA suite à la conclusion d’accords de financement entre le RFC Seraing avec la société maltaise Doyens Sports, qui contreviendraient au règlement de la FIFA. Ces sanctions ont été confirmées par le TAS puis par le Tribunal fédéral. Par renvoi de la Cour de cassation belge de deux questions préjudicielles à la CJUE, celle-ci a considéré qu’il ne peut être donné autorité de chose jugée à une décision arbitrale qui ne respecte pas l’« ordre public de l’Union européenne ».

Ces deux affaires traitent de la teneur du contrôle juridictionnel des sentences arbitrales prononcées par le TAS, avec, d’une part le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme – ci-après la Convention –, et d’autre part, avec le droit de l’Union européenne. La CEDH et la CJUE ont deux approches différentes du contrôle juridictionnel, mais elles convergent toutes deux vers le principe d’un contrôle effectif des sentences arbitrales sportives forcées pour le respect des droits fondamentaux et du droit européen.

L’approche substantielle du contrôle des sanctions par la CEDH dans l’affaire Semenya :

Dans l’affaire Semenya c. Suisse, une athlète internationale de nationalité sud-africaine spécialisée dans les courses de fond et sacrée plusieurs fois mondialement, devait se soumettre à des traitements hormonaux pour participer aux compétitions féminines, car d’après le règlement régissant la qualification des femmes présentant une hyperandrogénie de l’Association internationale des fédérations d’athlétisme – ci-après IAAF –, pour que les athlètes intersexes puissent participer aux compétitions féminines, leur taux de testostérone dans le sang devait être inférieur à 5 nmol/L. La requérante a, par la suite saisi le TAS[2] en contestation de ce règlement. Le 30 avril 2019, les conclusions de la requérante ont été rejetées par celui-ci. Le 28 mai 2019, la requérante saisit le Tribunal fédéral suisse[3] d’un recours visant l’annulation de la sentence du TAS. Le 25 août 2020, le Tribunal rejeta le recours en concluant que la sentence n’était pas incompatible avec l’ordre public matériel suisse au sens de l’article 190 al. 2 e) de la loi fédérale sur le droit international privé. Par la suite, la décision de la troisième section de la CEDH a fait l’objet d’un renvoi devant la Grande Chambre, sur demande du Gouvernement suisse en vertu de l’article 43 de la Convention le 9 novembre 2023 (§6). Remettant en cause l’arrêt de la Chambre, la Grande chambre a déclaré irrecevables les griefs relatifs aux articles 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 13 (droit à un recours effectif devant une instance nationale) et 14 (interdiction de la non-discrimination). Elle a répondu à la question de savoir si la requérante avait eu accès, par le biais du TAS à un tribunal établi par la loi au sens de l’article 6§1 de la Convention sur le droit à un procès équitable.

Tout d’abord, la Cour rappelle que l’arbitrage et l’existence de tribunaux arbitraux n’est pas contraire aux dispositions de la Convention et notamment à l’article 6 et que dans le cadre de la pratique professionnelle des sports, les différends soient tranchés par un tribunal arbitral international unique selon une procédure uniformisée, rapide et économique avec une possibilité de recours devant une juridiction étatique en première ou deuxième instance (§195).

Elle n’exclut pas que l’arbitrage puisse ainsi être imposé par la loi, mais que cette procédure doit fournir des garanties d’indépendance et d’impartialité suffisantes, comparables à un tribunal ordinaire, car, d’une part, les instances sportives sont des entités de droit privées, certes, mais leurs compétences s’apparentent au pouvoir règlementaire, si bien qu’elles agissent comme des organismes de droit public (§§201,202) ; et, d’autre part, du fait de la structuration même de l’arbitrage sportif, avec une prédominance des organes de gouvernance du sport, ceux-ci sont dans une position dominante, leur permettant, en tant qu’entité privée d’édicter leurs règlementations, en imposant notamment la compétence du TAS et créant nécessairement un déséquilibre structurel dans les relations entre les sportives et les sportifs et les organes de gouvernance (§§200, 203, 204). De ce fait, il est indispensable, que les garanties procédurales respectent l’article 6 de la Convention, comme le rappelle la Cour, son respect revêtant « une importance particulière lorsque le ou les droits « de caractère civil » sur lesquels portent la contestation correspondent en droit interne à des droits fondamentaux » (§206).

Dans ce cadre, le rôle du Tribunal fédéral en cas de saisine en contestation d’une sentence arbitrale doit être rigoureux dans son appréciation des sentences arbitrales sportives, au regard du respect de l’article 6 de la Convention et plus largement du respect des droits de la Convention.

Selon la Cour, le Tribunal fédéral n’a pas réalisé un examen rigoureux et proportionné de la sentence du TAS et de ses conséquences vis-à-vis de la requérante, au regard de l’article 6 puisqu’il s’agissait d’un arbitrage imposé « qui concernait un litige relatif à des droits « de caractère civil », au sens de l’article 6 § 1, correspondant en droit interne à des droits fondamentaux » (§216), et, qu’en l’espèce, la règlementation de l’IAAF permettait une ingérence dans l’intimité et la dignité de celle-ci en la soumettant à des traitements chimiques et examens médicaux contraignants[4]. Elle rappelle, à ce titre, la responsabilité de l’État dans le cadre du contrôle de proportionnalité des sentences arbitrales, telle qu’établie dans l’arrêt Mutu et Pechstein[5] de 2007.

La Cour considère que le Tribunal fédéral a bien relevé que le règlement était discriminatoire (§223) mais n’a pas suffisamment analysé si le règlement DDS avait un caractère raisonnable et proportionné, ce qui était le cœur de la contestation de la requérante, bien qu’il exprime, comme le relève la Cour, un doute quant à la proportionnalité du règlement (ibid).

Pareillement, elle relève que l’examen de la sentence avec l’ordre public matériel n’est pas suffisamment approfondi. Le Tribunal fédéral s’est borné à une appréciation classique de la sentence arbitrale, similaire aux sentences commerciales sans tenir compte de la particularité des sentences arbitrales sportives et de la rigueur que doivent apporter les instances nationales en cas de contestation.

La Cour instaure un « pare-feu », lequel doit permettre un contrôle renforcé des procédures d’arbitrage sportif, eu égard leur particularité : le risque de sentences arbitraires que cette mesure aspire à limiter autant que possible.

L’arrêt FC Seraing et l’approche formelle du contrôle juridictionnel des sentences arbitrales sportives à l’aune du droit de l’Union européenne :

Dans cette affaire, le club de football RFC Seraing a conclu deux contrats avec la société maltaise Doyens Sports Investment Ltd deux contrats financiers, le premier ayant pour objet l’encadrement des conventions de financement des joueurs, et, le second, cédant des parts économiques sur un joueur à la société Doyen Sports. A la suite de la conclusion de ces contrats et d’une enquête, la FIFA a ouvert le 2 juillet 2015 une procédure disciplinaire à l’encontre du club ayant abouti à une sanction de celui-ci, le règlement de la FIFA interdisant la pratique des « third party ownership ». Ayant interjeté appel de la sanction, la commission de sanction de la FIFA a rejeté le 7 janvier 2016 l’appel du club. Le 9 mars 2016, le RFC Seraing a introduit un recours en annulation contre la décision de la commission de recours de la FIFA devant le TAS, tout en demandant à ce qu’un effet suspensif soit donné à l’appel. Se prononçant le 9 mars 2017 par une sentence arbitrale, le TAS a rejeté les conclusions du club, en ce que la décision de la commission de recours était fondée sur des dispositions illégales et a également indiqué qu’il n’y avait pas de violation de la liberté de circulation des travailleurs, de la liberté de prestation de services et de  la liberté des mouvements de capitaux respectivement garanties par les articles 45, 56 et 63 TFUE ainsi que des règles de concurrence énoncées aux articles 101 et 102 TFUE.

Le RFC Seraing a alors saisi le Tribunal fédéral en annulation de cette sentence, tout en donnant un caractère suspensif au recours, le 15 mai 2017. Celui-ci a rejeté le recours.

Parallèlement, le club avait interjeté appel de la sentence de la commission de recours de la FIFA devant la Cour d’appel de Bruxelles, qui a rejeté l’ensemble des demandes du club le 12 décembre 2019. Après pourvoi du club auprès de la Cour de cassation, celle-ci sursoit à statuer pour poser deux questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne, à savoir si « l’article 19, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 TFUE et l’article 47 de la Charte, fait obstacle à l’application de dispositions de droit national telles que les articles 24 et 171[3], § 9, du [code judiciaire], tendant à sanctionner le principe de l’autorité de la chose jugée, à une sentence arbitrale dont le contrôle de conformité au droit de l’Union […] a été effectué par une juridiction d’un État non membre de l’Union, non admise à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle » et si « l’article 19, paragraphe 1, TUE, lu en combinaison avec l’article 267 [TFUE] et l’article 47 de la Charte […], fait obstacle à l’application d’une règle de droit national accordant à l’égard des tiers une force probante, sous réserve de la preuve contraire qu’il leur incombe de rapporter, à une sentence arbitrale dont le contrôle de conformité au droit de l’Union a été effectué par une juridiction d’un État non membre de l’Union, non admise à saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle ».

La CJUE rappelle que le droit de l’Union européenne ne s’oppose à l’arbitrage (§78) mais que celle-ci doit respecter l’ordre public de l’Union européenne, ce qui doit être effectué par les juridictions nationales. S’agissant des sentences arbitrales sportives, qui concernent des activités économiques se déroulant sur le territoire de l’Union européenne, elle indique que le contrôle est nécessaire (§91), car elles ne pas doivent aboutir à une limitation de la liberté de circulation des travailleurs, de la liberté de prestation de services et de la liberté des mouvements de capitaux ainsi que l’exercice du droit de la concurrence, qui sont garanties par le droit de l’Union européenne[6]. De ce fait, elle précise que l’existence d’une voie de recours juridictionnel à l’égard des sentences arbitrales sportives est obligatoire ; en rappelant les obligations découlant de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux et de l’article 19 al. 1er TUE (§83). Elle conclut dans l’affaire, par son approche formelle, que la sentence arbitrale du TAS doit pouvoir effectivement faire l’objet d’un recours en annulation devant une juridiction nationale, mais que la possibilité juridictionnelle de la sentence du TAS face au droit de l’Union européenne n’existe pas, puisqu’il s’agit d’un recours en annulation devant les juridictions suisses, qui est un État tiers à l’Union européenne. Donc, il peut lui être octroyé l’autorité de chose jugée.

La portée du contrôle juridictionnel des sentences arbitrales dans le sport au regard des deux arrêts :

 Ces deux arrêts, de manière contrastée, ont rappelé que le recours à l’arbitrage, imposé par la loi ou non, est un usage largement accepté, dont les sentences, plus encore en matière sportive, doivent nécessairement faire l’objet d’un contrôle avec les droits de la Convention d’une part, et le droit de l’Union européenne et des Traités d’autre part.

La CEDH, par son approche substantielle, indique que peu importe la nature de la sentence et des faits, il faut que la sentence prenne toute la mesure et la teneur des droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, sans cela, la sentence constitue une décision contraire aux droits garantis par celle-ci.

Il peut être interrogé sur la possibilité d’élargir cette prise en considération stricte du respect des droits fondamentaux aux autres domaines pouvant faire l’objet de sentences arbitrales, et ne pas limiter ce contrôle juridictionnel effectif uniquement au domaine sportif[7].

Par son approche plus formelle, la CJUE, indique que les sentences arbitrales sportives doivent faire l’objet d’un contrôle, mais de manière plus limitée, si elles concernent le droit de l’Union européenne, si la pratique sportive constitue une activité économique et si elle met en jeu l’ordre public de l’Union européenne.

Dans les deux arrêts, le contrôle juridictionnel effectif des sentences arbitrales sportives apparaît essentiel pour la garantie du principe de sécurité juridique. Pour Johan CALLEWERT[8], l’approche de la CJUE est plus limitée mais permet une meilleure garantie de la sécurité juridique. Devant la CEDH, le contrôle juridictionnel dépend, certes, de la casuistique mais il n’est pas limité puisqu’il concerne tous les droits de la Convention et s’applique à tous les États membres de la Convention. 

Il reste, cependant, que les deux approches se complètent, et permettent, lorsque qu’une sentence arbitrale est prononcée, un contrôle rigoureux de leur portée, mais ces deux approches distinctes peuvent également mener à des conflits d’application de la sentence, si elle apparaît conforme aux droits de la Convention mais contraire au droit de l’Union européenne[9]. Si cette constellation se présentait, pour préserver l’autonomie du droit de l’Union européenne, la sentence serait soumise au droit de l’Union européenne, en dépit de la CEDH mais ceci interroge sur l’articulation entre les deux Cours dans le contrôle des sentences arbitrales sportives et plus largement des sentences arbitrales.

[1] V. également « Obligation du Tribunal fédéral suisse d’exercer un contrôle rigoureux de la sentence du Tribunal arbitral du sport à l’aune de l’article 6 de la Convention », in : GPL 21 oct. 2025, n° GPL482x7, note J. Andriantsimbazovina.

[2] Le TAS est une juridiction arbitrale vouée à la résolution des litiges dans le cadre de l’exercice professionnel d’activités sportives.

[3] Le TAS étant établi à Lausanne, en Suisse, toute contestation d’une sentence arbitrale a lieu devant le Tribunal Fédéral suisse.

[4] Dans l’arrêt de troisième section du 11 juillet 2023, la CEDH n’a pas suivi un raisonnement tourné vers le respect des droits substantiels, notamment des articles 8 et 14 de la Convention, mais sur la présence de garanties institutionnelles et procédurales suffisantes (§§ 170, 205).

[5] Cf. CEDH, du 4 février 2019, Mutu et Pechstein c. Suisse, req. n°40575/10 et 67474/10.

[6] Cf. Olivier Vibert, “ Le contrôle juridictionnel effectif des sentences du TAS est requise par le droit européen » [En ligne].

[7] Cf. Gordon Nardell, Fiona Petersen (Twenty Essex Chambers) “Arbitration and Human Rights Following Semenya v Switzerland: The Commercial “Firewall” and EU law” [En ligne].

[8] Johan CALLEWERT, « Different but compatible approaches to international sports arbitration: comparing Semenya (ECtHR) with Royal Football Club Seraing (CJEU)” [En ligne], 2025.

[9] Bien que, comme le rappelle l’article 53 ChUE, il n’est pas exclu que le niveau de protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne soit plus élevé que celui de la CEDH.

Par Maéva EDDOUH

Doctorante à l’Université Toulouse-1 Capitole

The Weak Influence of Constitutional Settings on Cooperation

The static and legalistic conception of federalism, that is to say the one which advocates respect for the essential principles of autonomy and participation, has been overtaken by a dynamic conception, considering the coordination of policies and therefore cooperation.

The phenomenons of globalization and internationalization of relations have developped cooperation in multi-levels. Cooperation can be defined as intergovernmental relations with the aim of reaching common goals. It implies the participation of several spheres of government so as to implement jointed or coordinated programs. In the federal systems, cooperation is a key of intergovernmental relations. But it is not necessary organized by the federal constitution. In most cases, cooperation is conducted by informal practices and conducts to agreement wich is applyed in legal measures. Indeed, the special feature of cooperation is that’s a technique to reach a goal or to resolve a problem so it can’t be an institutionnalized system. Every case of cooperation is specific. So the constitutionalization of cooperation procedure is not a good way to make cooperation efficient. Moreover, it depends on legislative and financial balance of powers that are usually not in conformity with the constitution but variable because of the powers overlapping. Finally, cooperation can be horizontal or vertical,which means between member states of a federation or between member states and the federal government, according to the goal to reach or the problem to resolve. So cooperation must have a freedom to take the form that it wants, according to every situation. Cooperation doesn’t need to be predicted or organized by the constitution to be set up.

This paper wants to show that constitutional setting have generally a weak influence on cooperation because of the importance to give room for maneuver to the federal and state governments.

I – Importance and dangers of the rules organizing cooperation in the constitutional setting

Cooperation is one of the fundamental principles of federalism. Indeed, these principles are autonomy, separation, participation and cooperation. Nevertheless, this principle is not necessary formally present in the constitution.

This cooperation is not only achieved through ministers. It also occurs informally, through bodies or committees composed of members of the legislative branch or civil servants, which may also include ministers. They meet regularly in intergovernmental meetings. It should be noted, following Ronald Watts, that in federations in which the legislative and executive powers are separated at each level of government (such as in the United States, Canada, and Brazil), « the channels of intergovernmental relations are more dispersed, constituting numerous, often intersecting branches between senior executives, administrators, and legislators of the different levels of government »[1]. In this type of system, political pressure is generally significant on the federal legislature, particularly from representatives of the member states, whether they are civil servants, representatives of the executive, or the legislative branch. Interconnections between different levels of government are therefore frequent and have a significant impact on decision-making processes.

If some constitutions don’t quote the notion of cooperation literally as United States or Canadian constitutions, they foresee cooperation. The brazilian constitution of 1988, for example, foresee cooperation in a general way but also in specific areas like education, health, security or the social field (art. 23 XII; art. 30 VI and VII). The delegation of responsabilities to municipalities or to the states by the federal constitution, allowed an important development of cooperation from an horizontal and also vertical point of view. But cooperation needs a complementary law to be executed. For example, the complementary law n° 9394/1996 says that the federal government, in cooperation with states and municipalities, has jurisdiction to finance institutions as federal universities. For the health care national system (articles 202 and 203) the action must be decentralized but the federal government coordinate actions of various spheres of government to make general rules.

From the point of view of cross-border cooperation between regions or municipalities, the Quebec case shows that cooperation can exist without the federal government. Indeed, the constitution and the case law of the supreme court of Canada don’t prevent that provinces cooperate with each other or foreign components. So Quebec Province passed agreements with France, for example, to recognize common actions or common trade.

But, we must admit that even if a consitution text doesn’t cite cooperation litteraly, it can exist by the practice or the interpretation of the constitutional or legislative setting. In the United States, cooperation raised officially in the 1930’s from a vertical and a horizontal points of view, between members states and local governments. It has been judiciary recognized by two decision of the Supreme court (National Labor Relations Board vs. Jones and Laughlin Steel Corporation 301 U.S. 1 (1937) and Steward Machine Company v. Davis , 301 U.S. 548 (1937)). Nevertheless, it always existed a form of cooperation. Indeed, the federal constitution, in the article 1 paragraph 10, allows every state to conclude agreements with another states if the Congres give his premission but the federal government didn’t wait this period to use the constitution to implement his responsabilities in the commerce field, for example. The Interstate Commerce Act was adopted in 1887 to give to the Congress the possibility to regulate and control the trade in the states. Then, the federal responsabilities are gone to be extended to health, education, town and county planning and agriculture. So during the XXth century, cooperation changed to coercion which is a specific form of cooperation in which one order of government has got a dominant position and imposes conditions to conclude agreement more than reaching a trade off.

From this point of view, one important element for cooperation if it’s organized by the federal text is first of all, to consider that all of the spheres participating are in the same level (relation of equality) and it is not a hierarchical position between them. Indeed, the federal government doesn’t have a upper role, leading or deciding for all the governments involved in the cooperation. Unfortunately, even if the constitution doesn’t give a upper role to any actor, the federal government often reproducts the situation of the legislative process and has a bigger weight. The US are an example of this situation, or Brazil too, in some cases because of the financial superiority of the federal government. The difficulties for the state or local governments to finance programs make to be dependent of the grants in aid of the federal government. Indeed, the federal government takes a leading situation in cooperation. Moreover, since the Covid-19 pandemic, the federal governments in all the federations in th world have increase and strengthen their influence within their federations. Even so, this leading role is not a good way to respect the federative principles like autonomy and separation.

II – The key to cooperation : the financial freedom of the components of a national country allowed by the constitutional setting

In federal or in unitary systems (Canada, Brazil, US, or France), we can consider that the real importance of development of cooperation is the freedom given to the components (state members or regional entities). The experience of these countries shows that cooperation had been created by the components even if the national or federal governments have allowed the cooperation. But the most important to cooperation is that the state or local government have a financial power to apply the decisions taken during the cooperation process. This financial power is the condition to negociate and have a legitimate influence to negociate. Without financial power, the state and local government depend on federal grants. This is a common situation in unitary countries but not in the federal countries.

Yet the distribution of financial power is generally not organized by the federal constitution or just in general terms. Unfortunately, the financial dependence of state and local governments are a more and more common situation in federalist systems. The US, Brazil or Canada federations are, in various ways, an illustration of that. In Canada, cooperation is realized by informal meetings. They bring together the prime ministers of each province and of the Canada, the provincial ministers or members of provincial administrations. The canadian constitution gives an important financial power to the federal government, in particular, with the « spending clause » which allows to act in a provincial authority if it doesn’t take a legislative or reglementary act. In Brazil, from 1994 to 2004, the federal government limited the spending power of the states by a control of management and obligating the states and local governments to spend 25% of their incomes in education and 15% in health. So they were not free to spend their money as they wanted.

So we can see that cooperation formal procedures don’t need to be foreseen by constitutional setting and that this setting have generally a weak influence on cooperation. If the constitution quote cooperation as a important procedure, it has to protect the state and local governments liberty to avoid the federal government taking the power in the cooperation process. The most important is that constitutional setting leaves freedom to the states and local governments to organize cooperation because they are the main operators of cooperation. But to implement cooperation, the various government need to have the financial power to make this cooperation effective.

[1] Ronald Watts, Comparing Federal Systems, 2d éd., Queen‘s University, by McGill-Queen‘s University Press, Montreal & Kingston • London • Ithaca, 2002, p. 61.

Par Rémi BARRUÉ-BELOU

IRDEIC, école de droit de Toulouse, Université Toulouse Capitole

L’arrêt Alace et Canpelli et la désignation du « pays d’origine sûr »,le point sur une étape clé du parcours des demandeurs de protection internationale

L’arrêt Alace et Canpelli fait partie de ceux qui réitèrent la « consécration du droit à un recours effectif/protection juridictionnelle au firmament de l’ordre juridique de l’Union »[1], ici dans le cadre de l’asile. Il a suscité le courroux de Georgia Meloni, accusant la Cour de s’immiscer dans des questions relevant du Parlement national. Les déclarations de la Première ministre italienne consécutives à l’arrêt illustrent les tensions entre les stratégies politiques visant à restreindre l’accueil des réfugiés et l’exigence européenne de protection du droit d’asile.

L’asile est une compétence partagée[2]. Le premier Régime d’Asile Européen Commun apparait au début des années 2000, pour être réformé dès 2013, après la crise migratoire de 2008 marquée par des jurisprudences innovantes et structurantes des cours européennes comme M.S.S. et N.S.. C’est à ce deuxième paquet de réformes législatives européennes qu’appartient la directive 2013/32/UE ici en cause. Entrée en vigueur le 19 juillet 2013, elle fixe les procédures communes dans l’UE pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

Afin de traiter les demandes d’asile plus rapidement, et de reconnaitre les droits afférents à ce statut[3] dans les meilleurs délais – ou le cas échéant de les rediriger vers d’autres procédures[4] – des procédures spécifiques ont été mises en place. La désignation d’un État comme pays d’origine sûr, selon les critères arrêtés dans l’annexe 1 de la directive 2013/32, permet d’accélérer le traitement d’une demande d’asile, comme c’est le cas dans le présent arrêt.  

Deux requérants, originaires du Bangladesh, ont traversé la mer en bateau avant d’être secourus par les garde-côtes italiens. Au terme de l’accord entre l’Albanie et l’Italie ils ont été placés en rétention à Gjadër. Ils y ont déposé une demande de protection internationale, rapidement rejetée au motif qu’ils viennent d’un État qualifié de « pays d’origine sûr ». Cette décision a été contestée devant le tribunal ordinaire de Rome, qui a saisi la CJUE de quatre questions préjudicielles. Elles portent toutes sur le droit au recours effectif dans le cadre de la désignation de « pays d’origine sûr » par le législateur.

Le cadre juridique italien a évolué et si d’antan la désignation nécessitait deux étapes, faisant intervenir à la fois le pouvoir législatif et la pouvoir exécutif, la nouvelle législation en vigueur simplifie la procédure. Désormais, seul le législateur désigne, sans communiquer sa base d’information, les États qu’ils considèrent comme étant des « pays d’origine sûrs ».

La grille de lecture des droits fondamentaux

Pour que l’espace Schengen tout comme la construction européenne soient viables, la question de la protection des droits fondamentaux s’est très tôt révélée être une question de première importance. La garantie du droit au recours effectif y occupe une place de premier rang. Il sert de prisme au juge pour maximiser, dans le présent arrêt, la protection des demandeurs de protection internationale face au pouvoir décisionnaire – abstrait – du législateur italien dans la désignation des pays d’origine sûr.

En effet, sans publicité des sources d’information à l’origine de la décision, il devient difficile de vérifier si les conditions européennes ont été respectées – ce qui crée le risque qu’un État désigne certains pays comme “d’origine sûrs” de façon inadéquate. Comme le souligne M. Hunt[5], le concept de pays d’origine sûr et la procédure accélérée qui y est affiliée sont déjà critiqués pour les risques qu’ils font peser sur les demandeurs d’asile, l’opacité des informations sur lesquelles ces décisions se fondent ne peut qu’aggraver ces dangers. Cet arrêt qui apparait un mois après la déclaration conjointe contre la liste de pays d’origine sûrs proposée par la Commission européenne, s’inscrit dans un contexte européen où les stratégies de réduction du traitement des demandes de protection international dans l’UE sont critiquées par les organisations non gouvernementales pour les risques qu‘ils font peser sur le respect du principe de non-refoulement. En outre, ce manque de transparence est aux antipodes de la démarche d’asile européenne qui repose sur une collaboration entre le demandeur et les autorités nationales[6],  et dans laquelle le demandeur de protection internationale joue donc un rôle actif, assuré par l’obligation d’information de ce dernier[7].

Dans les questions préjudicielles soulevées par le tribunal italien, la protection « maximale » que ce droit garantit se heurte aux raccourcis de la législation italienne dans la désignation des pays d’origine sûrs. Le droit au recours effectif agit ici comme une grille de lecture qui donne le pouvoir à la CJUE de compenser les omissions du législateur européen en maximisant la protection des demandeurs d’asile.

Quelles conditions pour la désignation de pays d’origine sûrs ?

Dès lors, le juge italien s’interroge sur la possibilité de désigner un État comme pays d’origine sûr par le biais d’un acte législatif. Il questionne également la Cour sur l’existence d’une obligation pesant sur les États membres quant à la publication des bases d’informations permettant à ceux-ci de procéder à la désignation d’un pays d’origine sûr. En cas d’absence de communication de ces sources, le juge peut-il se baser sur des informations qu’il aurait lui-même recueillis pour se prononcer sur cette désignation. Enfin, est-il possible de désigner comme pays d’origine sûr un État dans lequel certaines catégories de personnes ne sont pas protégées au regard des critères fixés par l’Annexe 1 de la directive 2013/32.

L’article 36 de la directive introduit le concept de pays d’origine sûr ainsi que le droit de renverser la présomption de sûreté qui en découle, alors que l’article 37 attribue aux États la désignation en suivant les critères de l’annexe 1. Cette annexe est composée de deux parties, la première énonce les conditions nécessaires pour qualifier un État de pays d’origine sûr et la deuxième précise le mode d’évaluation.

Ces conditions visent à vérifier que le système juridique et politique d’un État garantit que « d’une manière générale » et uniforme, il n’existe aucun risque de persécution (au sens de l’article 9 de la directive 2011/95), de torture et de peine ou traitements inhumains ou dégradants, ou de menace de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé dans ce pays. À ces fins, les modalités de l’évaluation attendent une analyse du système législatif du pays et de son système de sanctions contre les violations des droits humains. Ils impliquent également la garantie du principe de non-refoulement et l’application de certaines normes de droit international de protection des droits de l’Homme – avec une attention particulière pour les droits indérogeables de la CEDH.

À la condition que soit garanti un contrôle juridictionnel effectif du respect des conditions fixées par la directive, la Cour estime que la désignation d’un État comme pays d’origine sûr peut être faite par la loi. La communication des sources d’informations est à cet égard nécessaire pour garantir le droit à un recours effectif, ainsi que l’utilisation de sources que le juge a recueilli pour autant qu’elles soient pertinentes et utilisées dans le respect du principe de contradictoire. Enfin, un État ne peut être désigné comme pays d’origine sûr, lorsque les conditions de l’annexe 1 ne sont pas observées pour certaines catégories de personnes.

Les deux dimensions complémentaires du droit au recours effectif – l’une visant à assurer la protection juridictionnelle effective des justiciables, l’autre à préserver la cohérence de l’ordre juridique de l’UE – se concrétisent toutes deux par l’accès aux sources d’information pour le juge – la facette objective – comme pour le justiciable – la facette subjective. La Cour s’attache à définir les contours de ce droit et préconise une diligence absolue dans l’évaluation des critères de désignation des pays d’origine sûr.

L’accès du juge aux sources d’information, garantie du droit au recours effectif

Concernant l’accès aux sources d’information à l’origine de la qualification d’un État comme « pays d’origine sûr », la Cour pose deux exigences essentielles. La première tient à l’accès du juge aux sources d’information des autorités étatiques. À ce titre la CJUE n’hésite pas à rappeler que le socle d’information sur lequel les autorités nationales se basent a été uniformisé – afin de minimiser les pratiques individualisées. L’article 37 paragraphe 3 de la directive 2013/32 précise en effet, que les États membres « s’appuient sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres États membres, du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes » pour évaluer si un pays remplit les conditions de désignation. C’est sur cette même base que le juge fait son contrôle. Un manque de transparence de l’autorité de désignation empêche de vérifier si ce sont bien des sources fiables recommandées par l’UE qui ont été mobilisées.

La seconde exigence, plus spécifique de l’asile, tient à la possibilité pour le juge d’avoir recours à ses propres sources d’information pour autant qu’elles soient pertinentes. Les particularités d’une affaire peuvent faire survenir des informations que le juge recueillera, la seule condition à leur utilisation étant le respect du principe du contradictoire et leur caractère « fiable » et « pertinent », sans que la définition de ces deux qualités ne soit proposée.

La CJUE raisonne en deux temps. Dans un premier temps, elle indique que ce droit au recours effectif est avant tout protégé par l’article 47 de la Charte et rappelle la fondamentalité de ce droit qui « se suffit à lui-même pour donner un droit invocable »[8]. L’article 46 de la directive n’est qu’une « réaffirmation »[9] de l’article 47 de la Charte. Un tel droit implique que les justiciables accèdent aux motivations de la décision qui les concerne. Dans un second temps surtout, la Cour va se rapporter à la déclinaison de ce droit dans le cadre de la directive afin d’en définir la portée.

Droit complet, il porte autant sur les droits substantiels que procéduraux et justifie, sans discussion, la possibilité pour le juge de mobiliser des informations qu’il a recueilli. Ce recours dont la Cour précise le sens des caractères « ex-nunc » et « complet », tient compte de tout élément nouveau depuis les précédentes décisions et recours. La spécificité de l’asile tient au caractère rapidement évolutif des situations. C’est dans cette logique que l’article 37 paragraphe 2 prévoit que les États membres examinent régulièrement la situation des pays d’origine sûr. Dès lors, l’examen du juge s’inscrit dans la continuité de cette approche, il doit donc procéder à un examen minutieux afin de s’assurer du respect du principe de non-refoulement – examen pour lequel les informations qu’il aura lui-même recueillies peuvent être essentielles.

La CJUE est par contre indifférente à la nature des normes qui désignent un pays d’origine sûr tant que le contrôle du juge reste entier.

Le droit au recours juridictionnel bouclier contre une qualification aléatoire du « pays d’origine sûr »

La désignation de pays d’origine sûr a pour effet d’activer le régime particulier de la procédure accélérée dans laquelle les risques de rejet des demandes sont plus élevées que pour la procédure classique. Néanmoins, une telle désignation repose sur une présomption réfragable. Dans ce contexte, la CJUE associe la motivation du rejet de la demande, aux sources d’information sur lesquelles l’autorité nationale s’est fondée pour désigner un État comme pays d’origine sûr. Dès lors, la nécessité de leur communication aux demandeurs de protection internationale s’impose. Les circonstances individuelles peuvent effectivement parfois changer cette qualification et un État considéré comme sûr de façon générale peut ne pas l’être pour certaines personnes[10].

C’est cette circonstance qui incite la Cour dans son analyse du volet substantiel à emprunter un chemin différent de celui proposé par l’avocat général et par le règlement 2024/1348 – qui devrait remplacer la directive 2013/32 dès son entrée en vigueur en juin 2026.  Cette différence peut surprendre car la Cour a pu dans ses arrêts assurer une continuité entre les normes d’asile dans le temps afin de prolonger les effets de sa jurisprudence. Le nouveau règlement semble partager les mêmes principes que le texte qu’il réforme[11]. Pourtant, la Cour paraît mettre en garde contre un affaiblissement de la protection des demandeurs d’asile et s’inscrit dans la continuité de sa jurisprudence CV.

En effet, il y a un plus grand risque d’atteinte au principe de non-refoulement puisque le pays ne respecte pas les critères fixés dans l’annexe 1 pour l’ensemble de la population. La Cour souligne le caractère d’« invariabilité » de la protection qu’un pays doit garantir pour être qualifié de pays d’origine sûr – ce qui révèle le « choix du législateur de l’Union » d’attendre que cette protection soit assurée pour toute la population de ce pays. La CJUE n’hésite pas à rappeler en outre, que les procédures accélérées en tant que régimes dérogatoires sont sujettes à une interprétation stricte.

 Ainsi, pour justifier sa solution, elle fait une interprétation combinée et veille à mettre le « choix » du législateur au centre de sa motivation – invalidant ainsi en amont la critique d’un pouvoir abusif du juge. Ce choix du législateur se manifeste lorsqu’il procède à « la balance des objectifs » entre la nécessité d’un traitement rapide et celle d’un examen approprié et exhaustif en faisant primer le second sur le premier, ou, lorsqu’il fixe l’entrée en vigueur des normes européennes. La Cour rappelle qu’il est tout autant loisible au législateur de modifier les normes qu’il a établies en revenant sur la date à laquelle elles prennent effet – ainsi que le reflète la proposition de modification de la Commission mise en avant par la CJUE.

L’intervention conjointe de la CJUE et des juridictions nationales pose des limites à l’externalisation excessive du traitement des demandes de protection internationale, la marge de manœuvre des États membres ne pouvant aller au-delà d’un standard européen de protection des droits fondamentaux.

[1] Gaudin, Hélène. « La contribution du juge de l’Union européenne au développement de recours effectifs protégeant les libertés. » Civitas Europa 49, n° 2 (2022): 323-335.

[2] TFUE Art 4, Art 67 p 2, Art 78.

[3] La reconnaissance du statut de refugie n’est que déclaratoire selon le droit international de l’asile .

[4] Comme les procédures de retour.

[5] Matthew Hunt, The Safe Country of Origin Concept in European Asylum Law: Past, Present and Future, International Journal of Refugee Law, Volume 26, Issue 4, December 2014, Pages 500–535.

[6] En ce sens « il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande », CJUE, QY contre Bundestag Deutschland,18 juin 2024, C-753/22

[7] Considérant (35), article 19 de la directive 2013/32.

[8] CJUE, Alace et Canpelli, 1er août 2025, C-758/24, pt 77.

[9] Idem.

[10] En ce sens, AIDA Legal Briefing No. 3September 2015 et Marie-Laure Basilien-Gainche, « Les gens de Dublin ont des droits – la qualification de pays d’origine sûr appliquée aux États membres de l’Union est une présomption réfragable », La Revue des droits de l’homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés.

[11] Ainsi que le suggèrent les considérants.

Par Célia ALLOUNE

Doctorante à l’Université Toulouse-1 Capitole

Les carences françaises dans la répression des violences sexuelles devant la Cour européenne des droits de l’homme : quels enseignements du modèle espagnol ?

Commentaire de CEDH, 4 septembre 2025, E.A. et association européenne contre les violences faites aux femmes au travail c. France, req. n° 30556/22

Par un arrêt E.A. et association européenne contre les violences faites aux femmes au travail c. France du 4 septembre, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a considéré que la France avait manqué d’instaurer des dispositions incriminantes et réprimant les actes sexuels non consentis, et de les appliquer de façon effective (v. ici et ici). Cette décision s’inscrit dans la suite de l’arrêt L. et autres c. France du 24 avril dernier, à l’occasion de laquelle la Cour EDH avait déjà constaté les lacunes du système pénal français. Tandis que l’affaire L. et autres c. France concernait la répression d’actes subis par des mineures, l’affaire E.A. concerne une relation née dans le cadre du travail.

L’arrêt de la CEDH intervient alors que la France est en voie d’adopter une proposition de loi visant à intégrer la notion de consentement dans la définition du viol. Alors que l’Espagne a déjà franchi ce pas par la Loi organique 10/2022 de garantie de la liberté sexuelle, dite loi du « seulement oui veut dire oui » (« ley del “solo si es sí” »), cette intégration fait l’objet de vives controverses juridiques en France (v. ici, ici, ici, ici et ). Sur la base de l’arrêt de la CEDH du 4 septembre dernier, apparaissent les enjeux d’une transformation du système pénal français à même de réprimer les actes sexuels non consentis, à la lumière de l’expérience espagnole.

Ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme

L’affaire E.A. et association européenne contre les violences faites aux femmes au travail c. France concernait une ressortissante française ayant rejoint le service de pharmacie d’un centre hospitalier dirigé par le Dr K.B., de 16 ans son ainé. Elle avait été recrutée dans le cadre d’un contrat temporaire, en vue de se former à des fonctions d’encadrement et travaillait sous la supervision directe d’une cadre supérieure de santé, Mme A. K. Le 12 juin 2013, E.A. fut placée en arrêt de travail, puis elle fut hospitalisée en service de psychiatrie en raison d’une dépression sévère. E.A. révéla à A.K. qu’elle avait une relation intime avec K.B. et que celui-ci la harcelait. Elle fit part du caractère sadomasochiste de leur relation. Le 30 juillet 2013, le directeur adjoint du CH signala les faits au procureur de la République territorialement compétent, en indiquant spécifiquement qu’E.A. avait dénoncé une situation « d’emprise » et des « relations sexuelles forcées ». Par ailleurs, K.B. fut suspendu de ses fonctions le 5 août 2013, avant d’être révoqué du corps des praticiens hospitaliers.

Le 13 août 2013, le conseil d’E.A. déposa plainte à l’encontre de K.B. des chefs de viols aggravés, d’agressions sexuelles, de violences volontaires, de harcèlement moral, de harcèlement sexuel et d’abus de faiblesse. Le 28 février 2014, le procureur de la République ouvrit une information judiciaire à l’encontre de K.B. des chefs de violences volontaires et de harcèlement sexuel. K.B. fut renvoyé devant le tribunal correctionnel lequel, par un jugement du 25 septembre 2018, déclara K.B. coupable de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours et de harcèlement sexuel par une personne abusant de l’autorité que lui confère sa fonction. K.B. fit appel de ce jugement et, par un arrêt du 27 mai 2021, la Cour d’appel de Nancy infirma totalement le jugement rendu en première instance, relaxa K.B. de l’ensemble des chefs de la prévention et rejeta en conséquence les demandes d’indemnisation des parties civiles. Par ailleurs, le tribunal correctionnel ainsi que la cour d’appel rejetèrent les demandes d’E.A. et de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) tendant à la requalification des faits en agressions sexuelles aggravées. E.A. et l’AVFT se pourvurent en cassation et, le 16 février 2022, la Cour de cassation déclara les pourvois non admis.

Dans ce contexte, la CEDH condamne la France pour violation de ses obligations positives en vertu des articles 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Convention européenne des droits de l’homme (la Convention), sous les angles matériel et procédural[1].

En effet, le viol et les agressions sexuelles graves tombent sous l’empire de l’article 3 de la Convention et mettent en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention (§131). En découlent des obligations positives qui doivent être interprétées à la lumière des instruments internationaux pertinents (§132), et en particulier de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul, du 11 mai 2011. Ces obligations positives se déclinent en l’adoption de dispositions pénales incriminant et réprimant de manière effective tout acte sexuel non consenti, et en l’application de ces dispositions au travers d’enquêtes et de poursuites effectives (§§133 s., v. aussi les principes présentés dans l’arrêt L. et autres c. France, §§192-202).

Or, dans l’affaire E.A., la CEDH a constaté, d’une part, les lacunes du cadre juridique en vigueur à la date des faits (§§148 s.). D’autre part, la CEDH a relevé les défaillances rencontrées lors de la mise en œuvre de ce cadre juridique tenant à la fois à l’exclusion des atteintes sexuelles dénoncées par la requérante du cadre de l’enquête, au caractère parcellaire des investigations, à la durée excessive de la procédure, et aux conditions d’appréciation du consentement de la requérante par les juridictions de jugement (§§152 s.). Sur ce dernier point, la CEDH a considéré que la Cour d’appel de Nancy a exposé la requérante à une forme de « victimisation secondaire » (§170).

Une réticence française à reconnaître l’absence de consentement, en contraste avec le droit espagnol

La CEDH relève d’abord l’absence de la notion de consentement dans la définition du viol qui est constitué par un tout acte de pénétration sexuelle, ou tout acte bucco-génital, « commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » (art. 222-23 du Code pénal). De même, l’agression sexuelle est constituée par « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou sur surprise » (art. 222-22, al. 1er du Code pénal). Dans le même temps, la CEDH reconnaît que la Cour de cassation prend de longue date le défaut de consentement en considération dans sa jurisprudence (§148). L’absence de consentement est appréhendée à partir d’éléments objectifs qui se focalisent sur le comportement de l’auteur. Il peut notamment résulter d’une « contrainte », aussi bien physique que morale, en tant qu’élément matériel de l’infraction. L’intention coupable, comme élément moral de l’infraction, suppose encore que l’auteur ait agi en ayant conscience de contraindre la victime.

Toutefois, dans le cas d’espèce, il faut relever que le tribunal correctionnel a rejeté la demande de requalification des faits reprochés à K.B. en agressions sexuelles aggravées au motif qu’il n’était pas établi qu’ils aient été commis avec violence, contrainte, menace ou surprise. Partant, il n’a tiré aucune conséquence, en particulier au regard de la « contrainte », du fait que « que la requérante présentait des fragilités psychiques et émotionnelles connues de K.B., que celui-ci exerçait à son égard une autorité fonctionnelle dont il avait abusé, qu’il l’avait menacée de représailles professionnelles, qu’il avait eu à son égard un comportement agressif et humiliant ayant causé une dégradation progressive de son état de santé physique et mentale et qu’E.A. avait accepté de se soumettre à ses exigences compte tenu de son comportement au travail » (§161). Cette affaire est donc bien un exemple flagrant de ce que le Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) dénonçait, dans son premier Rapport d’évaluation de référence sur la France du 19 novembre 2019 : la définition du viol en droit français engendre une « forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs que sont la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ».

Or, la Convention d’Istanbul, ratifiée par la France en 2014, prévoit bien que doivent être érigés en infractions pénales les actes sexuels « non consentis » (Convention d’Istanbul, art. 36). D’ailleurs, de nombreux États européens se sont conformés à ces engagements internationaux.

Depuis la loi organique de 2022, le droit pénal espagnol prévoit que l’agression sexuelle est constituée par « tout acte qui attente à la liberté sexuelle contre une autre personne, sans son consentement » (art. 178.1 du Code pénal espagnol). Le viol est une forme qualifiée d’agression sexuelle, spécifiquement lorsque l’acte comporte une pénétration (art. 179 du Code pénal espagnol).

À l’échelle de l’Union européenne, en revanche, la directive (UE) 2024/1385 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée le 14 mai 2024, ne contient finalement pas de définition commune du viol, contrairement à la proposition initiale de la Commission sur laquelle un accord politique avait été trouvé entre le Parlement européen et le Conseil en février 2024. Or, la France a compté parmi les pays s’étant opposés à cette harmonisation de la définition du viol (v. ici).

Depuis, plusieurs propositions de loi ont néanmoins été déposées afin d’intégrer l’absence de consentement à la définition du viol et des agressions sexuelles, au nombre desquelles figure la proposition de loi no 842 enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 21 janvier 2025. Dans un avis rendu le 6 mars 2025, le Conseil d’État propose de définir le consentement en précisant que celui-ci « doit être libre et éclairé, spécifique, préalable et révocable ». Le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, et la commission mixte parlementaire est désormais attendue.

L’intégration du consentement comme critère d’incrimination : l’enseignement du droit espagnol

D’après la CEDH « [l]’enquête et ses conclusions doivent porter avant tout sur la question de l’absence de consentement » (§140) et « il incombe aux juridictions de jugement d’apprécier le consentement en procédant à une évaluation contextuelle des circonstances environnantes de l’espèce » (§142). À travers son arrêt, la CEDH met en lumière trois aspects essentiels de l’intégration du consentement dans la définition du viol, dont les enjeux sont déterminants pour l’incrimination et la répression des violences sexuelles.

Premièrement, le consentement est identifié comme traduisant « la libre volonté d’avoir une relation déterminée » (§140). La CEDH rappelle notamment sa jurisprudence constante en vertu de laquelle tout acte sexuel non consenti doit être incriminé et réprimé de façon effective, « y compris lorsque la victime n’a pas opposé de résistance physique » (§134, v. aussi M.C c. Bulgarie, §§ 155-166). Dans le cadre de la loi espagnole, le consentement est vérifié lorsque la personne l’a « manifesté librement, par des actes qui, eu égard aux circonstances, expriment de manière claire sa volonté » (art. 178.1 du Code pénal espagnol). Ce « modèle positif du consentement » (« modelo positivo de consentimiento » ou « yes model ») s’inscrit dans un effort nécessaire pour « englober la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment lorsque celles-ci sont en état de sidération » (v. Rapport du GREVIO, §192). À l’inverse, le GREVIO a souligné que la difficulté du droit pénal français réside dans l’obligation de caractériser la violence, la contrainte, la menace ou la surprise pour établir l’élément matériel, ce qui exclut toute autre voie de reconnaissance du défaut de consentement.

Deuxièmement, la CEDH affirme que le consentement est « par nature révocable » (§169). En effet, la libre volonté doit être observée « au moment où [la relation sexuelle] intervient » (§140) et « aucune forme d’engagement passé n’est susceptible de caractériser un consentement actuel » (§169). En l’espèce, la signature d’un « contrat maître-chienne » entre E.A. et K.B. n’était pas de nature à établir le consentement de la victime à l’ensemble des pratiques sexuelles violentes et des humiliations qu’elle avait ultérieurement dénoncées, contrairement à ce qu’a pu affirmer la Cour d’appel. En réalité, la CEDH a même considéré que la prise en compte d’un tel élément par la Cour d’appel « a exposé [E.A.] à une forme de victimisation secondaire, un tel raisonnement étant à la fois culpabilisant, stigmatisant et de nature à dissuader les victimes de violences sexuelles de faire valoir leurs droits devant les tribunaux » (§170). Au contraire, la CEDH a replacé la « négociation » de ce « contrat », en tout état de cause nul et inopposable, au cœur de la stratégie de coercition mise en place par K.B. Elle complète ainsi les circonstances dans lesquelles un État partie à la Convention peut manquer à ses obligations de protéger la dignité d’une personne en l’exposant à une « victimisation secondaire » (v. ici). Par conséquent, dans le contexte des violences sexuelles, il ne s’agit certainement pas de comprendre la notion de consentement comme étant à la base d’un engagement contractuel (v. ici et ici). Le caractère révocable du consentement à un acte sexuel écarte nécessairement le risque d’une « contractualisation » des relations humaines redouté par certains (v. ici et ici ; sur la précision du caractère révocable du consentement, à l’occasion de la réforme espagnole, v. ici, §5). D’ailleurs, cette conclusion n’est pas sans rappeler la décision H.W. c. France de la Cour EDH portant sur la valeur du consentement au mariage au regard du devoir conjugal (v. ici). Dans cet arrêt du 23 janvier dernier, la CEDH a jugé qu’était incompatible avec la Convention le prononcé d’un divorce aux torts exclusifs du conjoint ayant refusé d’avoir des relations intimes avec son époux.

Troisièmement, l’absence de consentement doit être identifiée « en tenant compte [des] circonstances » de l’espèce (§140), et en particulier des « circonstances susceptibles de caractériser l’absence de libre consentement aux relations sexuelles » (§128, v. aussi §143). Certaines associations féministes font d’ailleurs valoir la valeur probante dérisoire du « consentement » lorsqu’il est exprimé par une femme victime de violence (V. le Mémoire en tierce intervention de Osez le féminisme ! et 6 autres ONG). En l’espèce, la CEDH relève que les faits doivent être restitués dans leur contexte professionnel, que les agissements de K.B. s’apparentent à un contrôle coercitif ayant créé, comme l’a relevé le juge d’instruction, une « emprise psychologique extrêmement importante » à l’égard d’E.A., et que ces faits ont entraîné « une dégradation progressive de la santé physique et mentale de la requérante », qui était connue de K.B. Il ne s’agit donc pas de se fonder sur la seule perception de la plaignante, mais d’identifier le comportement de l’auteur « susceptible de placer la [victime] dans un état de particulière vulnérabilité et de porter atteinte à sa capacité de discernement » (§166). Il est hors de question de faire peser la preuve du consentement positif sur l’accusé, mais il faut tenir compte de la connaissance par l’auteur de ces éléments de vulnérabilités (§143). Ceci permet d’avoir égard à l’existence d’un lien d’autorité, non pas seulement comme une circonstance aggravante, mais bien à l’étape de l’évaluation du consentement (v. art. 178. 2 du Code pénal espagnol).

Au-delà de la loi : adapter le système pénal à la répression des violences sexuelles

La CEDH reconnaît, enfin, le principal problème rencontré dans les affaires de violences sexuelles : celui de la preuve (§141). En France, rappelons que le taux de classement sans suite est aujourd’hui de 70 % pour les viols et de 65 % pour les agressions sexuelles, et que moins de 7 % des plaintes enregistrées aboutissent à une condamnation (v. ici). Face à ce problème, certains avancent l’« effet [purement] symbolique » d’une réforme visant à insérer la notion de consentement dans la définition du viol (voir ici), voire le risque de « populisme pénal » si la loi est utilisée comme un outil de communication sans que rien ne change sur le terrain (v. ici). En Espagne, des doutes ont bien été émis sur la capacité de la réforme du droit pénal à remédier aux difficultés probatoires (v. ici, p. 277).

Ce qui importe alors est de permettre aux juridictions « d’examiner tous les faits pertinents et de statuer après s’être livrées à une appréciation de l’ensemble des circonstances » (§141). Il est donc légitime de se demander si un changement de paradigme dans la loi pourrait contribuer à une collection des preuves plus efficace par le parquet.

Dans l’affaire E.A., la CEDH constate précisément les défaillances de la mise en œuvre du cadre juridique au stade des investigations et des poursuites. Celles-ci se sont limitées aux chefs d’accusation de violences volontaires et de harcèlement sexuel aggravé, malgré des allégations défendables de viol et d’agressions sexuelles, et alors même que K.B. a été poursuivi pour des faits qui s’apparentent à des violences sexuelles, et notamment à des pénétrations anales non consenties. La CEDH relève aussi le manque de célérité et de diligence raisonnable, nécessaires à l’effectivité de l’enquête (§§156 s.). Elle constate que les investigations ont été lacunaires quant au « contexte d’emprise exercée par K.B. », notamment concernant l’étude de la correspondance d’E.A. et K.B. et la collecte d’éléments de preuves supplémentaires. Elle mentionne aussi la tardiveté de la saisie du matériel informatique de K.B. ayant entrainé le dépérissement des preuves numériques. Elle regrette encore l’absence d’investigations complémentaires afin d’établir un lien éventuel entre la capacité d’E.A. à consentir librement à des relations sexuelles et le constat d’un « traumatisme psychique d’une rare intensité et les signes cliniques d’un “syndrome de l’otage” » présentés par la requérante. Elle remarque enfin la durée globale de la procédure d’enquête et de jugement (de huit ans et six mois), la clôture de l’information judiciaire ayant, en particulier, été retardée de plus d’un an en raison des difficultés rencontrées pour faire réaliser une expertise psychiatrique de K.B.

Finalement, si la loi pénale a pour objet essentiel d’organiser la vie en société, la vertu pédagogique de la loi mérite également d’être soulignée. Il est évident que le droit pénal ne doit pas être en tous points régi par le débat public. Dans le même temps, l’opinion publique a indubitablement été un moteur de l’ajustement de l’Espagne à ses engagements internationaux. En effet, la réforme du droit pénal a suivi une affaire dite de la Manada ayant eu un fort retentissement médiatique (v. ici et ). En France, le procès dit des viols de Mazan a fait ressurgir la question de l’introduction de la notion de consentement dans la définition du crime de viol (v. ici). À l’heure où plusieurs affaires concernant la France sont toujours pendantes devant la CEDH, il apparaît indispensable de combiner l’aboutissement de la réforme législative avec une adaptation structurelle du système pénal, à l’instar de l’évolution déjà engagée en Espagne.

[1] La Cour EDH s’est prononcée au fond sur la seule requête d’E.A. Elle a conclu à l’inadmissibilité ratione personae de la requête de l’AVFT (§§101-103).

Par Maéva DESPAUX

Docteure en droit public de l’Université Toulouse-1 Capitole et l’Université Pompeu Fabra

Double anniversaire des arrêts OPAL et Orlen !

De la genèse à la nuance du principe de solidarité énergétique en droit de l’Union

« Les compétences partagées entre l’Union et les États membres s’appliquent au domaine de l’énergie. Dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres : à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie; à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union; à promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables; et à promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques. » – Articles 4§2i et 194§1 TFUE.

Après les premiers mots il y a six ans en septembre 2019, l’âge de raison semble arrivé un peu plus tôt que prévu, en septembre 2024. Et voilà que les balbutiements sémantiques semblent enfin donner lieu à des mots clairs !

Claire, la solidarité énergétique ne l’a, depuis son introduction en 2009 dans les traités avec Lisbonne en 2009 à l’article 194 TFUE, pourtant jamais été. Elle a même été à la source d’incertitudes et de désagréments pour les États membres, la Commission et la Cour de justice. Pire, cet inconfort vis-à-vis de la notion remonte encore plus loin, avec la solidarité prise indépendamment. Pourtant, évoquée dès la genèse du projet européen et trouvant rapidement un écho dans la jurisprudence de la Cour aux côtés de la coopération loyale et de la confiance mutuelle, la solidarité semblait avoir trouvé un voie toute tracée comme principe « à la base des obligations comme de l’ensemble du système communautaire »1 dont le manquement affecterait « jusqu’aux bases essentielles de l’ordre juridique communautaire »2.

Depuis, c’est le silence, ou presque. La solidarité n’a retrouvé une place importante dans les traités qu’à l’entrée en vigueur de celui de Lisbonne, en 2009. Elle était alors présente dans la Charte des droits fondamentaux et son préambule, et dans l’article 2 TUE sur les valeurs de l’Union. Si cette place semble majeure, elle n’a pourtant pas donné lieu à beaucoup d’applications, car la valeur des valeurs elle-même était et est toujours discutée (voir par exemple ESPAGNO-ABADIE Delphine, « La solidarité, une valeur de l’Union européenne », Revue de droit de l’Union européenne, 2017. P. 3 et s. ; SERENA ROSSI Lucia, « La valeur juridique des valeurs. L’article 2 TUE : relations avec d’autres dispositions de droit primaire de l’UE et remèdes juridictionnels », Revue trimestrielle de droit européen, 2020. P. 639 et s. ; VON BOGDANDY Armin, SMRKOLJ Maja, KOTTMANN Matthias et al., « Reverse Solange – Protecting the essence of fundamental rights against EU Member States », COLA, 49, 2012).

C’est, de ce fait, du côté du TFUE qu’il faut rechercher la consécration du principe de solidarité, et plus spécifiquement à son article 194 dont l’intérêt se manifeste dans l’arrêt Orlen. L’arrêt ouvre une période de réflexion et aiguise notre patience. En effet, l’article 194 TFUE met en place la politique énergétique de l’Union dont l’esprit de solidarité est la base de fonctionnement. Néanmoins sans précisions supplémentaires, les interprétations qu’il était possible d’apporter à cet esprit étaient nombreuses. Il est donc revenu à la jurisprudence de dégager ce qu’il fallait entendre… non pas au fil de l’eau, mais au fil de la fourniture de gaz

Un Tribunal engagé pour un principe général de solidarité.

Le premier anniversaire en ce mois de septembre pour la solidarité énergétique dans l’Union fête la naissance en 2019 d’une affaire impliquant le gazoduc OPAL : le Tribunal s’y est essayé à une qualification de la solidarité énergétique comme une « expression spécifique » du « principe général de solidarité entre les États membres, mentionné, notamment, à l’article 2 TUE » (pt. 69). C’est la première fois qu’est tranchée la valeur de la solidarité, même si le Tribunal reste prudent, ne se prononçant que sur l’expression spécifique en matière énergétique. En cela, il implique néanmoins très clairement que la solidarité dans son ensemble est un principe général du droit ayant plusieurs facettes et fondé explicitement sur les valeurs de l’Union. Enfin, en apportant toujours plus de nuance dans la valeur du principe de solidarité, le Tribunal ajoute que ce principe est « à la base de l’ensemble du système de l’Union, conformément à l’engagement stipulé à l’article 4, paragraphe 3, TUE (le principe de coopération loyale) » (pt. 69 in fine). Renouant avec l’importance accordée à la solidarité par la Cour dans les années 1960 et 1970, le Tribunal la lie pourtant, comme principe, à celui de coopération loyale, pour exister. Or, sans base dans l’ensemble du système, ce dernier ne saurait exister, ce qui implique également que la coopération loyale nécessite une solidarité. Une telle interdépendance permet de conjuguer un principe dont on connaît les mécanismes de fonctionnement à un principe qui a encore tout à construire. Sur cette base de solidarité augmentée de coopération loyale, le Tribunal dégage des droits et obligations pour l’Union comme les États membres (pts. 70 et 72), et ne ferme pas la voie à ce que le principe de solidarité, en-dehors de l’énergie, produise des effets juridiques.

Une Grande Chambre dans la nuance.

Prudente, la Cour l’a plus encore été lorsque la Grande Chambre a jugé du pourvoi de l’arrêt du Tribunal. Avalisant l’approche du Tribunal, l’arrêt Allemagne contre Pologne fait néanmoins « glisser » la qualification de la solidarité de principe général vers principe fondamental (pt. 38) sous-tendant l’ensemble du système juridique de l’Union (pt. 41) et constituant à ce titre un critère d’appréciation de la légalité des mesures de l’Union « à l’instar des principes généraux du droit » (pt. 45), en comportant des droits et des obligations tant pour l’Union que pour les États membres (pt. 49). Par cette formulation ambivalente et ces détours, soulignant l’importance de la solidarité sans reprendre la qualification de principe général stricto sensu, la Cour de justice ouvre la voie à une juridicisation de la solidarité sans en poser les modalités (comme elle va elle-même l’évoquer en 2022 dans les affaires Hongrie et Pologne contre Parlement et Conseil en indiquant qu’en cas d’interprétation de la notion de solidarité que contient l’article 2 TUE, elle n’exercerait « que les compétences qui lui ont été attribuées par les traités, en particulier par l’article 263 TFUE » (pt. 329, Pologne contre Parlement)). Elle se borne à reprendre la conclusion du Tribunal en indiquant que le principe de solidarité énergétique comporte une « obligation générale » de « tenir compte des intérêts de tous les acteurs susceptibles d’être concernés » « afin d’assumer leur interdépendance et leur solidarité de fait » (pt. 71). L’obligation de faire est donc légère, puisqu’elle ne consiste qu’à « tenir compte » d’intérêts… sans trancher des éléments de mise en application. Jusqu’où tenir compte ? Comment sont évalués les intérêts des uns et des autres ? La Cour s’en remet à l’interdépendance entre lesdits acteurs et à leur solidarité de fait. Voilà une formule qui nous rappelle la déclaration Schuman et qui traduit le malaise que provoque la mise en orbite juridique du principe de solidarité.

Une Deuxième Chambre ravivant une tension sémantique.

Le second anniversaire de ce mois de septembre fête la première année d’existence de l’arrêt Orlen de septembre 2024. S’il n’est plus question d’OPAL et Nordstream, il y a désormais de l’eau dans le gaz pour les gazoducs Southstream et Yamal, approvisionnant les pays d’Europe centrale et orientale. Un arrêt de Deuxième Chambre rejetant un pourvoi, cela semble anodin. Pourtant, des indices sur la valeur du principe de solidarité sont à chercher ici.

Tout d’abord, une première formulation instille le doute. C’est d’abord de manière affirmative, après l’argumentation des parties, que la Cour évoque : « le principe de solidarité énergétique, tiré de l’article 194 TFUE et ayant le statut de principe général du droit de l’Union » (pt. 81), c’est ensuite, au conditionnel, qu’elle reprend qu’il « ferait partie [des] principes fondamentaux » de l’Union. La version anglaise supprime toute trace du conditionnel en affirmant que ce principe général « is one of those fundamental principles ».

Concernant l’appréciation de la Cour sur ce moyen invoqué, elle devrait stricto sensu lever ces doutes, mais en indiquant dans une formulation dont on peut regretter la complexité et l’incertitude que « selon la jurisprudence de la Cour, rien ne permet de considérer que le principe de solidarité figurant à l’article 194, paragraphe 1, TFUE ne saurait, comme tel, produire d’effet juridique contraignant pour les États membres et les institutions de l’Union » (pt. 91), et en citant l’arrêt Allemagne contre Pologne précité, la Cour fait peser des doutes sur l’argumentation construite depuis 2019 notamment concernant les droits et les obligations pour les États membres et l’Union… et l’effet contraignant qui leur est inhérent. Aux points 93, 94, 95 et 96, la Cour citant à nouveau l’arrêt Allemagne contre Pologne rappelle pourtant les droits et obligations issus du principe de solidarité. Selon elle, ce principe « constitue un critère d’appréciation de la légalité » (pt. 93), et « doit être pris en compte par les institutions de l’Union ainsi que par les États membres » (pt. 94). Au surplus la Commission doit non seulement « se conformer à l’obligation d’agir en conformité avec les dispositions du traité FUE et les principes généraux du droit de l’Union », mais aussi vérifier si les « engagements offerts » dans le cadre de la procédure en cause dans l’affaire n’enfreignent pas l’article 194 TFUE (pt. 95). Ensuite, la Cour ajoute que « ces obligations impliquent que […] la Commission ne pourrait pas accepter des engagements qui risqueraient de s’avérer contraires à l’article 194 TFUE et de mettre ainsi en péril les objectifs poursuivis par le principe de solidarité énergétique ou la sécurité d’approvisionnement énergétique » (pt. 96). Dans un dernier mouvement, et malgré l’énoncé de ce qui s’apparente aux effets des droits et obligations, la Cour revient à son postulat de départ puisque c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal « a refusé d’assimiler l’application du principe de solidarité énergétique par la Commission à l’imposition d’obligations positives imputables à cette dernière » (pt. 97).

Ici, le raisonnement de la Cour apparaît, par son flux et reflux, comme abscons. Il s’éloigne de la côte Allemagne contre Pologne en basant le principe de solidarité sur l’article 194 TFUE et non plus sur l’article 2 TUE et en affirmant qu’il ne saurait produire d’effet contraignant. Il s’en rapproche en rappelant les droits et obligations issus du principe de solidarité. Enfin il s’en éloigne à nouveau en confirmant le refus du Tribunal d’assimiler l’application du principe de solidarité à l’imposition d’obligations positives. Une nouvelle fois la patience semble de mise dans l’attente d’un arrêt de Grande Chambre qui se prononce sur la valeur du principe de solidarité et sur sa juridicité. Est-il objectif, abstrait et applicable de façon général ? Est-il subjectif, et ne s’appliquant qu’à certaines matières et certains destinataires (États membres et institutions de l’Union) ?

Si on pouvait penser qu’avec l’arrêt Orlen, la boucle serait bouclée concernant la valeur de la solidarité (voir d’ailleurs à ce sujet BLANQUET Marc (dir.), « Valeurs fondatrices de l’Union européenne, valeurs communes aux Etats membres », Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2025. Coll. Plumes d’Europe (2)), il soulève en réalité de nouveaux questionnements sur ce qu’est le principe de solidarité, parfois fondamental, parfois général. En tout état de cause, ici les indices laissés mènent à un principe de valeur constitutionnelle. Il est cité affirmativement comme tel (pt. 81), en a la valeur (pt. 93), génère une obligation de prise en compte (pt. 94), et la Commission doit s’y conformer comme élément de l’article 194 TFUE et comme principe général du droit (pts. 95 et 96). Il est cependant bridé en ce qu’il ne saurait produire d’effet juridique contraignant (pts. 91 et 97). Bref, la Deuxième Chambre n’aide pas à comprendre le sens de la solidarité, on peut le regretter.

Une correction venue d’ailleurs.

Alors qu’on pouvait – légitimement – attendre des évolutions dans un cadre énergétique, au vu des liens entretenus entre cette matière et la solidarité, c’est dans une affaire Commission contre Malte relative à la citoyenneté de l’Union que la Grande Chambre s’est prononcée en avril 2025 sur l’importance de la solidarité. En affirmant que la citoyenneté de l’Union figurait parmi les dispositions fondamentales des traités et contribuait à la réalisation de l’intégration, elle en déduit qu’elle fait « partie intégrante de son cadre constitutionnel » (pt. 91). Or, la Cour précise que cette citoyenneté, partie du cadre constitutionnel, est une des « concrétisations majeures de la solidarité » qui est « au fondement même du processus d’intégration » (pt. 93) ! La solidarité est ainsi non seulement une valeur constitutionnelle, mais aussi un fondement à « la raison d’être de l’Union elle-même » (pt. 91). La Cour renoue ainsi avec ses jurisprudences les plus importantes en matière constitutionnelle (Costa, l’Avis 2/13, voire Grzelczyk, Rottmann, Euro Box Promotion qui sont cités, Commission contre France de 1969 et l’affaire Commission contre Italie de 1973 concernant la solidarité) et confirme ce qui avait été débuté en 2019 et 2021 : la solidarité fait partie intégrante du cadre constitutionnel de l’Union et fonde la citoyenneté sur le rapport de solidarité et loyauté entre les États membres et leurs ressortissants (pt. 96) et envers les autres États membres et l’Union (pt. 98). Spécifiquement dans la citoyenneté, ce rapport particulier entre solidarité et loyauté, s’il n’est pas respecté, va rompre la confiance mutuelle et la coopération loyale (pt. 99). Cette articulation entre les grands principes de l’Union européenne et la solidarité témoigne de leur interdépendance et corrige implicitement ce que la Deuxième Chambre laissait penser en 2024. L’arrêt affirme la volonté de la Grande Chambre de conférer un rôle opérationnel à la solidarité.

Ainsi, cette saga jurisprudentielle, même décousue, illustre le mal-être qui accompagne la notion de solidarité depuis ses débuts, avec des décisions parfois engagées, souvent hésitantes voire contradictoires. Ces flux et reflux pourraient s’apparenter à une volonté de la Cour de brouiller les pistes en laissant la solidarité glisser d’une qualification à une autre. Pourtant la position finalement retenue dans l’affaire Commission contre Malte confirme et affirme que le principe de solidarité n’est pas une option mais un pilier constitutionnel contraignant du système de l’Union européenne. Reste à voir désormais comment ce statut de pilier constitutionnel contraignant se traduira dans la pratique, au-delà des cas de citoyenneté de l’Union, et s’il pourra fonder des recours plus audacieux à l’avenir.

                                                                               Raphaël ANDRIANTSIMBAZOVINA

Doctorant à l’université Toulouse Capitole (IRDEIC)  et l’université Aristote de  Thessalonique (DPLPS)

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